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Sommaire

 

 

Editorial : Dominique BERTHET



I – UTOPIES D'HIER ET D'AUJOURD'HUI

Marc JIMENEZ, Désir d'utopie ! , entretien avec Dominique Berthet.
Dominique BERTHET, L'utopie, une pensée de l'élan.
Edouard GLISSANT, « Nous ne craignons pas

l'Utopie ».
René PASSERON, Les trois chutes d'Icare et l'échec des utopies verticales.
Heiner WITTMANN, L'utopie, critique et progrès sociaux.
Florent PERRIER, Conjugaison de la déroute. De l'utopie comme d'une résistance à l'œuvre.
Samia KASSAB-CHARFI, Trois postures utopiaires.



II – UTOPIES PERSONNELLES
Frank POPPER, Une histoire de non-lieu.
Richard SHUSTERMAN, Utopie du corps.
Alain ROGER, Utopies érotique.



III – ART, CULTURE ET UTOPIE

Jean-Marc LACHAUD, De l'art et de l'utopie aujourd'hui.
Gérard DUROZOI, Le modernisme ou non : deux utopies en conflit.
Hervé Pierre LAMBERT, Octavio Paz et la pensée de l'utopie.
Sébastien RONGIER, Les anfractuosités du réel. Espace utopique et littérature contemporaine.
Béatrice LAURENT, Utopie d'enfance : le Nulle Part de William Morris



IV – UTOPIES D'ARTISTES

Bernard PAQUET, Du fragment photographié ; en marge vers l'utopie.
Christian BRACY, Utopie / Utovie.
Khaled AL-HAMZAH, Un siège aux portes de l'utopie.
Julie BESSARD, Du fantastique, de l'onirique et de l'utopie , entretien avec Jean Marie-Louise



V – SURREALISME

Dominique Berthet, André Breton en Haïti : l'imprévisibilité de la rencontre.



VI – PUBLICATIONS RECENTES

n° 11 Utopies 

EDITORIAL

Jan Fabre, artiste belge, fut la vedette controversée du 59e Festival d'Avignon (juillet 2005). « Artiste associé » de cette édition, il présenta quatre spectacles[1] et une exposition. N'épiloguons pas sur les deux spectacles joués dans la Cour d'honneur du Palais des papes qui mêlaient théâtre, danse et musique, vis-à-vis desquels les réactions furent souvent négatives et qui ont fait couler déjà beaucoup d'encre. La nouveauté et l'éclatement des frontières entre les genres, laissent souvent sceptique un public venu chercher des spectacles conformes à ses attentes et à ses goûts. Mais évoquons plutôt l'exposition « For intérieur », remarquable, présentée dans la Maison Jean Vilar, rassemblant une cinquantaine d'œuvres, sculptures, dessins et films réalisées entre 1978 et aujourd'hui. Créateur inclassable et prolifique, Jan Fabre est un explorateur des limites qui mène de front différentes pratiques : metteur en scène de théâtre, scénographe, auteur, artiste plasticien réalisant des dessins, des sculptures, des performances, des vidéos, des films. On retiendra de cette exposition sa dimension protéiforme, des réalisations marquantes faisant appel à des registres différents.

La photographie de l'affiche de ce festival, comme celle annonçant l'exposition, rejoignent la thématique de ce onzième numéro de Recherches en Esthétique. Elles présentent un homme d'aujourd'hui assis sur une tortue géante, qu'il semble guider tel un cheval à l'aide de rênes. L'homme et sa monture sont sur le sable, scrutent la mer et le lointain, dans l'imminence de leur départ. Cette sculpture-installation de Jan Fabre, qui fait paraître minuscules les promeneurs qui se trouvent à proximité, s'intitule A la recherche d'Utopia[2]. Belle métaphore. Utopia, selon la tradition, est souvent située sur une île, dans un ailleurs géographique et/ou temporel. La tortue connue pour ses déplacements dans les mers lointaines y mènera l'homme. La tortue, explique l'artiste, est un animal dont on utilisait la carapace à Delphes pour rendre les oracles. Elle est apparentée à la prophétie, elle annonce l'avenir. Elle est aussi l'animal nomade par excellence qui transporte sa demeure partout où elle va.

L'homme est toujours en quête d'utopie, semble dire Jan Fabre. La raison en est que l'utopie est inséparable du réel et du vécu. Elle n'est pas, contrairement à l'idée reçue, l'irréel ou le rêve, mais un espoir chevillé à la vie, une lueur dans la pénombre du quotidien, le désir qui s'insinue dans le politique. Les utopies furent d'abord littéraires. Depuis le XVIe siècle elles s'apparentent à des récits de voyages, elles offrent la description d'Edens terrestres, où l'homme vit heureux gouverné par le meilleur des régimes. Elles deviennent progressivement des projections vers quoi il faut tendre. La société idéale dépeinte est désignée comme un but à atteindre. Le siècle précédent a d'ailleurs vu se réaliser un certain nombre d'utopies. Mais les utopies réalisées, souvent, se sont transformées en cauchemar. Dans la recherche d'une société idéale on finit, généralement, par oublier l'homme. Une idée noble se transforme en un asservissement. Les utopies politiques qui se sont réalisées furent globalement des échecs. Tel est le constat porté sur le siècle qui vient de s'écouler. On s'est alors empressé de déclarer que les utopies laïques étaient mortes. Mais le sont-elles vraiment ?

C'est oublier que l'utopie est de l'ordre de la nécessité ; elle est le désir qui nous habite, elle dit ce qui nous manque. Le réel tel qu'il est, tel qu'on l'observe et tel qu'il est vécu ne donne pas satisfaction. Les formules de Marx et de Rimbaud, « transformer le monde » et « changer la vie » n'ont rien perdu de leur actualité. Cela dit, les utopies d'hier ne sont plus porteuses d'espoir. L'utopie, les utopies du XXIe siècle s'inventent hors des modèles antérieurs, hors des idées de mesure, d'idéal, de bonheur commun.

Les différentes réflexions rassemblées dans ce volume éclairent sur les écueils des utopies passées, tout en témoignant du désir d'utopie. Elles montrent aussi en quoi l'utopie se conjugue à tous les temps, y compris le présent, en terme de résistance et d'élan. L'art, bien sûr, comme on le verra dans ces pages, est inséparable de cette notion, au point d'en être souvent l'expression.

Dominique Berthet

[1] Cour d'honneur du Palais des papes : L'histoire des larmes et Je suis sang . Au Théâtre municipal : L'Empereur de la perte et Le roi du plagiat.
[2] 1977-2003, œuvre permanente à Nieuwpoort.

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