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Sommaire

 


Dominique BERTHET

Avant-propos



Dominique BERTHET

L’art, une utopie incarnée ?



Cécile BERTIN-ELISABETH

Utopie et veine picaresque : Rinconete et Cortadillo à l’épreuve du réalisme



Camilla BEVILACQUA

Seuils de l’art entre utopie et réel



Lise BROSSARD

L’œuvre d’art totale, une utopie ? Utopie et œuvre d’art totale



Alexandre CADET-PETIT

Le jardin créole, utopie ou réalité



Dominique CHATEAU

Dégoût du futur journalistique



Gérard DUROZOI

L’utopie de l’art et les utopies rivales dans l’art du XXe siècle



Véronique HALPHEN-BESSARD

Les métamorphoses de l’utopie chez Georges Perec



Hugues HENRI

L’utopie libertaire en Aragon et Catalogne entre 1936 et 1939



Corinne MENCE-CASTER

Entre l’utopie de la langue et la langue de l’utopie :José María Arguedas et l’écriture du castillan



René PASSERON

De l’utopie fondamentale



SENTIER

La pratique artistique conçue comme la mise en œuvre d’une utopie



Hélène SIRVEN

Utopie et vulgarisation des mondes lointains au XIXe siècle



Roger TOUMSON

L’île, l’archipel et le continent. Imaginaires et représentations

Présentation des auteurs

Actes n° 11

L'Utopie

Avant-propos

 

 

Dominique BERTHET

 


Les textes qui composent ce volume proviennent d’un colloque interdisciplinaire organisé par le Centre d’Etudes et de Recherches en Esthétique et Arts Plastiques (CEREAP), qui s’est tenu en décembre 2005, à l’IUFM de Martinique. Il rassemblait des chercheurs de l’IUFM de Martinique, de l’Université des Antilles et de la Guyane, de l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, ainsi que des plasticiens. Plusieurs disciplines étaient ainsi représentées : la philosophie de l’art, la poïétique, l’histoire de l’art, la critique d’art, les arts plastiques, le cinéma, les littératures française, hispaniste et comparée. Ce colloque faisait suite à la parution du onzième numéro de l’organe éditorial du CEREAP, Recherches en Esthétique, ayant pour thème « Utopies »[1]. Les textes rassemblés dans ce volume sont inédits et viennent compléter les textes publiés dans la revue.



Quelles sont les relations que l’art entretient avec l’utopie ? Comme plusieurs textes de ce volume le montrent, l’art non seulement n’est pas étranger à cette notion, mais il en est inséparable au point d’en être souvent l’expression. Jean-Luc Godard intitulait d’ailleurs son exposition à Beaubourg (mai – août 2006), Voyage(s) en Utopie. A bien des égards et dans bien des cas, l’utopie semble s’incarner dans l’art. Ces textes qui évoquent les tentatives de réaliser une œuvre d’art totale, la subversion des avant-gardes artistiques du début du XXe siècle ou encore les expériences plus récentes de mise en relation de l’art et de la vie, font état de différentes pratiques artistiques comme autant de manifestations ou de réalisations de l’utopie.



Mais l’utopie appartient aussi au monde de la littérature. Si dans l’Antiquité grecque et latine on trouve de nombreux textes à mi-chemin entre l’utopie et le récit de voyage, faisant référence à des îles où l’on vit dans la profusion, la sérénité et la paix, îles du bonheur parfait, c’est toutefois à la Renaissance que naît l’utopie à proprement parler. Les utopies littéraires de la Renaissance portent la trace de cette littérature antique[2]. Les utopies s’apparentent à des récits de voyages, offrent la description d’Edens terrestres où l’homme vit heureux gouverné par le meilleur des régimes. Elles deviennent progressivement des projections vers quoi il faut tendre. La société idéale dépeinte est alors ouvertement désignée comme un but à atteindre.



Le 1er septembre 1889, dans son journal Le père peinard, Emile Pouget annonçait le récit prochain des aventures du Père Peinard, en 1900 : « Je vais vous raconter l’aventure au XXe siècle, quand la Sociale sera en marche… », écrivait-il. Le 28 septembre commence le feuilleton, sur trois pages où Pouget relate son voyage en utopie. Dans la pure tradition des romans utopistes, il narre l’histoire de trois personnes dont le Père Peinard, évadés des prisons françaises, secourus par deux amis qui les transportent en ballon dirigeable en Algérie, où ils vont séjourner. Le récit porte sur l’expérience de ces hommes en une Algérie anarchiste, dont le fonctionnement est une référence à la société envisagée par Kropotkine avec « la prise au tas ». Le feuilleton prendra fin dans le numéro du 22 avril 1891. Derrière ce récit s’exprime une aspiration, un projet, une dynamique.



Le XXe siècle donna lieu précisément à des expériences, à plus ou moins grande échelle (il en est évoqué plusieurs dans ce volume), de mise en place de certains projets de société nés dans l’esprit d’auteurs comme Kropotkine, Fourier, Saint-Simon, Marx, pour ne citer qu’eux.



En ce début de XXIe siècle, le terme utopie, est pour beaucoup l’expression d’une vue de l’esprit irréaliste quand il ne porte pas la marque de l’insupportable et de l’inacceptable. C’est au nom en effet d’une société meilleure que les pires choses ont été commises. Les utopies réalisées, souvent, se sont transformées en cauchemar. Elles furent globalement des échecs. Tel est le constat porté sur le siècle qui vient de s’écouler. Mais les utopies laïques sont-elles mortes, comme on s’est empressé de le déclarer ? Ce serait faire abstraction de l’évidence : l’homme ne peut vivre sans utopie. Il ne peut se satisfaire de ce qu’on lui impose, surtout lorsque ce qui s’impose à lui ne répond pas à ses nécessités, ne satisfait pas ses besoins. L’homme en réalité est toujours en quête d’utopie. La raison en est que l’utopie est inséparable du réel et du vécu. Elle n’est pas, contrairement à l’idée reçue, l’irréel ou le rêve, mais un espoir chevillé à la vie, une lueur dans la pénombre du quotidien, le désir qui s’insinue dans le politique. Elle n’est pas une fuite hors du réel, elle s’appuie sur le réel pour en envisager un autre, plus à la mesure de nos besoins et de nos souhaits. Elle appartient au réel, elle en est issue. Elle est élan, moteur, ferment d’actions. L’utopie est à la fois un désir et un besoin d’autre chose, d’autrement. C’est ainsi me semble-t-il qu’il convient aujourd’hui d’envisager l’utopie, non comme une pensée de l’impossible mais précisément comme une pensée de l’autrement. C’est d’ailleurs sous cet aspect qu’il faut appréhender les expressions actuelles de résistance et de contestation. D’autres mondes sont en effet possibles. Encore faut-il les penser, les imaginer, les rêver. On observe dans l’actualité et dans les luttes sociales d’aujourd’hui un regain d’intérêt pour des propositions alternatives. Plutôt que de mépriser ou de rejeter l’utopie, il convient de la revendiquer, non pour ce qu’elle fut mais pour ce qu’elle peut offrir de nouveau, d’inédit, de plus juste, de plus épanouissant. Il ne s’agit pas d’attendre la venue de « lendemains qui chantent », mais de travailler ici et maintenant à l’émergence d’une existence meilleure, d’enclencher des processus de contournement, de chercher de nouvelles voies, de penser les choses différemment. L’utopie doit s’inventer hors des modèles antérieurs, hors des idées de mesure, d’harmonie, d’idéal, de bonheur commun. Edgar Morin déclarait il y a peu, non sans lucidité : « J’espère en des temps futurs, sans pourtant croire en un monde harmonieux, en une société où les êtres humains seraient désaliénés (puisque je pense que l’aliénation fait partie de la condition humaine). Nous devons abandonner le meilleur des mondes, mais espérer en la possibilité d’un monde meilleur. J’ai toujours cru à l’improbable, à la réalisation de l’improbable dans l’histoire humaine »[3]. La réalisation de l’improbable… Edgar Morin ne croyait pas si bien dire. Il ignorait évidemment en décembre 2004 que l’improbable se manifesterait au travers, par exemple, de l’élection d’un président noir aux Etats-Unis, en novembre 2008. Aujourd’hui l’improbable est devenu réalité. Il en va parfois de même pour l’utopie.


 

 

[1] Recherches en Esthétique, n° 11, « Utopies », octobre 2005.

[2] Voir mon article, « L’utopie, une pensée de l’élan », Recherches en Esthétique, n° 11,       « Utopies », octobre 2005, pp. 11-19.

[3] Edgar Morin, propos recueillis par Thierry Grillet et Gilles Anquetil, « Le parcours de la méthode », Le Nouvel Observateur, 2-8 décembre 2004.

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