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Sommaire

 

Avant-propos

Dominique BERTHET

 

Valérie ARRAULT

L’exhibition de l’intime

 

Dominique BERTHET

L’artivisme, une nouvelle forme d’engagement artistique

 

Solange BUSSY

El Prisionero del Cielo de Carlos Ruiz Zafón : une mise en ironie de la terreur franquiste, servant l’imposture en littérature

 

Laurette CELESTINE

L’engagement protéiforme de Breyten Breytenbach

 

Dominique CHATEAU

L’engagement artistique entre le monde de l’art et le monde de l’œuvre (ou la déspécification des dispositifs artistiques)

 

Richard CONTE

Les dégagements créateurs de Jean Paul Forest

 

Patricia DONATIEN

Michel Rovélas, quand parlent les bambous : une poétique politique, un engagement esthétique

 

Hugues HENRI

Anarkia Boladona : anartiste féministe du Street Art brésilien

 

José MOURE

De quelques formes de l’engagement cinématographique

 

Bruno PEDURAND

Art et engagement : dissidence et droit de retrait

 

Bruno PEQUIGNOT

La question de l’engagement artistique en sociologie des arts

 

Isabelle POUSSIER

Iléité et création artistique : le cas de la Réunion.

Quel engagement pour les artistes plasticiens réunionnais ?

 

Sophie RAVION D’INGIANNI

Art et engagement dans l’œuvre de l’artiste cubaine

Tania Bruguera

 

SENTIER

La part de l’ange

 

Présentation des auteurs

Actes n° 18

Création et engagement 

Avant-propos

 


Dominique BERTHET

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   Traiter de l’engagement dans le domaine de la création suppose d’envisager au moins deux axes de réflexion. L’un est lié au créateur et à ce qu’il met en place pour donner forme à son œuvre, c’est-à-dire l’artiste engagé dans sa pratique. L’autre concerne le contenu de l’œuvre et l’éventuelle implication de l’artiste dans la société. L’engagement artistique est donc double et renvoie à deux aspects distincts.

    Des auteurs comme Paul Valéry, Étienne Souriau ou René Passeron ont fort bien montré ce qui se joue au cours du processus créateur, montrant ainsi l’engagement dont fait preuve le créateur. Créer, c’est donner naissance à quelque chose qui n’existait pas auparavant. Paul Valéry écrivait que « toute l’opération d’un artiste, c’est de faire quelque chose à partir de rien »[1]. La création est un acte producteur de quelque chose, elle implique l’action. René Passeron, quant à lui, disait que « la conduite créatrice est une pensée en action »[2]. Lors de la création, la pensée et le corps sont tous deux convoqués et en acte. La création est souvent décrite comme un combat dans lequel l’artiste s’engage, s’implique entièrement. Souriau au travers de sa métaphore du « monstre à nourrir » qu’il nommait également « l’ange de l’œuvre », montre ce en quoi la création relève de la nécessité[3].

    Dans une belle formule, Vincent Van Gogh parlait au sujet de l’art et de la création de l’importance d’« y mettre sa peau »[4], c’est-à-dire de s’y impliquer tout entier. On retrouve cette idée, formulée autrement chez Nietzsche lorsque celui-ci présente l’ivresse comme la condition de l’œuvre d’art, qui procure un sentiment accru de puissance et qui, de plus, induit le risque[5]. En effet, dans cette totale implication, on « risque sa peau ». Créer c’est se risquer. L’engagement de la création est une prise de risque. Dans la création, il n’y a pas de place pour la réserve ou la demi-mesure. La création est une implication totale de l’être.  

    Le second aspect de l’engagement lié à la création concerne le rapport de l’artiste à la société. Le fait d’interroger les notions d’art et d’engagement, amène à se poser la question de la relation entre l’art et le politique et, plus largement, de la place et du rôle de l’art et de l’artiste dans la société.

    Dès lors que l’on parle d’engagement, il n’est pas inutile d’évoquer Jean-Paul Sartre qui en fit l’un des piliers de sa philosophie ainsi qu’une éthique. Selon lui, pour dire les choses de manière synthétique, l’engagement est incontournable et indispensable.        Dans son existence, l’individu est condamné à faire des choix, c’est-à-dire à s’engager. Sartre considère aussi que l’art est un engagement. Il prend soin toutefois de distinguer l’œuvre engagée de l’œuvre politique. Cette distinction est intéressante, car au regard des productions, si une œuvre politique est de fait rangée du côté d’un art engagé, une œuvre engagée ne se réduit pas nécessairement à une dimension politique.

    Si l’art des siècles passés était lié au pouvoir qu’il soit politique ou religieux – l’artiste vivant alors des commandes des mécènes –, la seconde moitié du XIXe siècle a donné lieu à des relations conflictuelles entre l’artiste et la société. On vit alors apparaître la figure de l’« artiste maudit », ignoré, incompris, rejeté, se situant parfois volontairement en marge d’une société jugée oppressante et aliénante, et/ou la critiquant ouvertement. La première moitié du XXe siècle, avec ses avant-gardes artistiques d’une radicalité esthétique et idéologique rare, de même que certaines avant-gardes des années 1960-1970 ont fourni de nombreux exemples d’un art engagé.

    Dans une version propagandiste, il faut mentionner par exemple l’art promulgué en Italie avec l’arrivée au pouvoir du Parti national fasciste, en URSS à partir de la fin des années 1920, en Allemagne sous le nazisme, en Espagne durant la guerre civile.

    Au tournant du XXIe siècle, l’engagement en art s’envisage sans doute de manière différente. Si l’on se réfère à un certain nombre de publications récentes, on observe depuis quelques années un regain d’intérêt pour les questions liées à l’art dans sa relation au politique[6]. On observe depuis quelques années des pratiques, des « gestes artistiques » qui débordent nettement le cadre artistique habituel pour s’engager dans des actions collectives, participatives, souvent en lien avec des questions sociétales, voire politiques, où chacun participe à l’évènement, brouillant ainsi la frontière traditionnelle entre le créateur et le public. Ces nouvelles façons de penser et de pratiquer l’art ont d’ailleurs pour conséquence de nous obliger à repenser, une fois de plus, les limites et la définition de l’art.

   Les textes rassemblés dans ce volume sont issus d’un colloque organisé par le Centre d’Études et de Recherches en Esthétique et Arts Plastiques (CEREAP)[7], en 2013, à l’ESPE de Martinique[8], rassemblant des universitaires, des artistes et des critiques d’art des Antilles et de France.

 

           

 

 

Notes

 

[1] Paul Valéry, Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, Paris, Gallimard, coll. « folio essais », 1957, p. 151.

[2] René Passeron, La Naissance d’Icare. Éléments de poïétique générale, Valenciennes, ae2cg éditions et Presses Universitaires de Valenciennes, 1996, p. 42.

[3] Étienne Souriau, cité par Anne Souriau dans Vocabulaire d’esthétique, Paris, PUF, coll. « Quadrige »,  p. 118.

[4] Vincent Van Gogh, Correspondance complète, II, Paris, Gallimard-Grasset, 1960, p. 234.

[5] Voir entre autres choses Crépuscule des Idoles, in Œuvres philosophiques complètes VIII, Paris, Gallimard, nrf, p. 112-113.

[6] Parmi ces publications, mentionnons par exemple : Dominique Baqué, Pour un nouvel art politique. De l’art contemporain au documentaire, Paris, Flammarion, 2004 ; Jacques Cohen (dir.), L’art et le politique interloqués, Paris, L’Harmattan, 2005 ; Jean-Marc Lachaud (dir.), Art et politique, Paris, L’Harmattan, 2006 ; Marc Jimenez (dir.), Art et pouvoir, Paris, Klincksieck, 2007 ; Jean-Marc Lachaud, Olivier Neveux (dir.), Changer l’art. Transformer la société, Paris, L’Harmattan, 2009 ; Sébastien Porte, Cyril Cavalié, Un nouvel art de militer. Happenings, luttes festives et actions directes, Paris, Alternatives, 2009 ; Stéphanie Lemoine et Samira Ouardi, Artivisme. Art, action politique et résistance culturelle, Paris, Alternatives, 2010 ; Lucille Beaudry, Carolina Ferrer, Jean-Christian Pleau (dir.), Art et politique. La représentation en jeu, Québec, Presses de l’université de Québec, coll. « Esthétique », 2011. Pour ce qui est des revues ont peu aussi citer : Terrains et travaux, n° 13, « Art et politique », 2008 ; Émulations, n° 9, « Art, participation et démocratie », 2011 ; Recherches en Esthétique, n° 19 « Art et engagement », 2014.  

[7] Équipe interne du CRILLASH (Centre de Recherches Interdisciplinaire en Lettres, Langues, Arts et Sciences Sociales), Laboratoire de l’Université des Antilles.

[8] Les 30 novembre et 1er décembre 2013.

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