TABLE des MATIERES
Avant Propos : Dominique BERTHET
Bernard TEYSSEDRE : Le jardin secret d'Archimboldo
Bernard PITON : Plagiat et citation
Scarlett JESUS : Corps perdu. Histoire d'un corps à corps Picasso-Césaire
Dominique BERTHET : André Breton et la magie des choses
Michèle-Baj STROBEL : Muséographie et réinterprétation de la tradition chez les Amérindiens de la côte Nord-Ouest du Canada
Yves BERGERET : Le point de croisement
Jovanni JOPPOLO : Appropriation et syncrétisme
Jean MARIE-LOUISE : Christian Bertin : l'appropriation entre rébellion et rassemblement
Christian BRACY : Appropriation, intériorisation. Le temps, le lieu, le lien
Claudine ROMEO : Frantz Fanon : pathologies du langage, révolte et décolonisation
Frédéric LEVAL : L'actualité de Prométhée
Hugues HENRI : Appropriation de l'art africain par contamination chez Picasso, Arman, Spoerri et César
Jeanne OUSSANE-PITON : Le miroir et la traversée des images
Suzanne LAMPLA : Appropriation du symbole et du mythe dans la peinture américaine des années 30-40.
Actes n° 2
Art et Appropriation
AVANT-PROPOS
Dominique Berthet
Cet ouvrage rassemble les communications prononcées les 7 et 8 décembre 1996, lors du second colloque organisé par le Centre d'Etudes et de Recherches en Esthétique et Arts Plastiques (CEREAP) sur le thème Appropriation. Cette manifestation s'est tenue sur le site de Guadeloupe, de l'IUFM des Antilles et de la Guyane.
Quatorze intervenants se sont succédés pour questionner cette notion : des chercheurs du CEREAP, des universitaires de Paris I, un critique d'art et un poète. Ce colloque faisait suite au deuxième numéro de la revue Recherches en Esthétique, consacré lui aussi au thème "Appropriation". Les approches présentées dans ce volume explorent toutefois d'autres pistes, sans que le sujet n'en soit pour autant épuisé. La diversité des sujets, des questionnements, des témoignages offre un panel étendu et riche. La Caraïbe, le Canada, l'Amérique latine, l'Afrique, l'Océanie, l'Europe, le passé et le présent, les pratiques contemporaines, les traditions, les mythes sont évoqués comme autant de manifestations de la richesse de la démarche appropriative.
Le concept d'appropriation renvoie à plusieurs démarches. L'une se situe du côté du vol, de l'usurpation, de l'escroquerie, de la falsification. S'approprier signifie alors s'attribuer la propriété d'une chose dite, pensée, écrite, réalisée par un autre. Pris dans ce sens, s'approprier c'est ravir, s'emparer, s'attribuer, voler, capturer. Toutefois, une autre démarche se situe, elle, du côté de la distanciation, du prélèvement, du réinvestissement personnel, de l'emprunt, voire de l'imprégnation. Il s'agit alors, au contraire, d'un dialogue, d'une écoute, d'une expérience de l'altérité. L'appropriation de ce point de vue est une rencontre, une réflexion, une analyse débouchant sur du singulier et de l'innovation.
Le monde est un matériau, un terrain d'aventure permettant d'accéder à tous les possibles. Etre dans le monde, c'est agir sur lui, mais c'est aussi être agi par lui, c'est-à-dire subir son influence. Tout rapport au monde entraîne une modification. Hegel a montré que l'homme, en transformant le monde, cherchant à y laisser son empreinte, se transformait lui-même. La relation au monde fonctionne donc de façon dialectique. Qui n'est pas ressorti transformé d'une rencontre émotionnellement forte avec un lieu, un espace, une œuvre ? Vivre un lieu, s'immerger dans sa poétique, s'en imprégner, c'est aussi se l'approprier car, au bout du compte, celui-ci nous habite, continue à vivre en nous.
S'interroger sur la notion d'appropriation dans le champ des arts plastiques c'est donc, d'emblée, pénétrer dans un monde complexe en raison de la diversité des modalités d'appropriation et des enjeux de cette démarche ; enjeux dont certains dépassent le domaine exclusivement artistique. L'appropriation telle que nous l'envisageons ici est une composante du processus créateur. Il s'agit d'un processus actif, d'un acte volontaire, qui relève d'un certain engagement.
Les textes composant cet ouvrage montrent que la démarche appropriative renvoie à un système de questionnement sur l'origine ou les origines, sur le référent et la manière de l'approcher, sur les modalités d'appropriation, sur la distance qui sépare l'œuvre de ce qui lui est antérieur et/ou extérieur. Si la question des origines est posée, celle de la contemporanéité de l'œuvre l'est aussi.
L'appropriation envisagée comme un dialogue entre les cultures, les œuvres, les auteurs, les lieux, ouvre peut-être sur une nouvelle esthétique. Après les esthétiques de rupture et d'insoumission des avant-gardes artistiques (malheureusement essoufflées), après "l'esthétique de la résignation et de l'acceptation" - pour reprendre les termes de Guy Scarpetta - de la postmodernité (heureusement dépassée), ce qui s'élabore dans ces zones de rencontre, c'est peut-être une esthétique de l'interaction, toujours ancrée dans la modernité, ayant pour caractéristiques le cosmopolitisme, le métissage, l'hybridation dans une constante pratique et analyse critiques.