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Sommaire

Avant-propos

Dominique BERTHET

Élisabeth AMBLARD, Réception réciproque : l’in situ et l’in vivo à l’œuvre

 

Géraldine BANARE, Perception et réception de l’art chez Édouard Glissant

Anne-Catherine BERRY, L’installation in situ : un archipel de rencontres

Dominique BERTHET, La réception de l’art : une (re)création ?

Olivia BERTHON, L’installation : une œuvre en contact

Lise BROSSARD, La réception de l’art, un coup de billard à trois bandes ?

Laurette CELESTINE, Pour une réception de l’art sur Facebook : étude de cas d’artistes/créatrices antillais

Dominique CHATEAU, L’art, autrement qu’art (autour de l’exemple de Thomas Hirschhorn)

Sandrine MORSILLO, Réception à l’œuvre : la performance du spectateur 8 dans le présent de l’exposition, une nécessaire anticipation artistique

Bruno PEQUIGNOT, La réception, l’expérience et la mémoire

Sophie RAVION D’INGIANNI, Qu’est-ce que l’art contemporain ? Filiations, familles et pratiques…Une réception toujours ouverte

SENTIER, L’œuvre à l’épreuve du commun

Présentation des auteurs

Actes n° 20

L'art à l'épreuve de sa réception  

Avant-propos

 

 

Dominique BERTHET

 

     En novembre 2015, le CEREAP (Centre d’Études et de Recherches en Esthétique et Arts Plastiques)[1] tenait son 20e colloque sur le thème « La réception de l’art », à l’ESPE[2] de Martinique. Ces vingt colloques se sont tenus alternativement en Martinique et en Guadeloupe, donnant lieu à la publication des actes de colloque pour chacun d’entre eux[3].

    2015 est aussi l’année d’un drame marquant survenu en France avec l’assassinat, le 7 janvier, d’une partie de l’équipe de rédaction du magazine satirique Charlie Hebdo. Douze personnes, dont huit membres de la rédaction, tombent sous les balles de deux terroristes islamistes armés de fusils d’assaut. La raison de cette tuerie ? Certains dessins publiés dans ce magazine, jugés blasphématoires entre autres par ces deux meurtriers. Ces personnes présentes au siège du journal ce jour-là ont perdu la vie en raison d’un problème de réception d’images satiriques. Parmi les victimes, les dessinateurs Cabu, Charb, Tignous, Honoré et Wolinski.

    Ce cas extrême va malheureusement se répéter, pour les mêmes raisons, avec l’assassinat d’un enseignant, dont le tort fut de consacrer un cours d’enseignement moral et civique à la liberté d’expression en France, en montrant deux caricatures de Mahomet publiées dans Charlie Hebdo. Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie, est décapité en octobre 2020, au sortir de son établissement scolaire à Conflans-Sainte-Honorine. Là encore, à l’origine, un problème de réception d’images.

Rappelons au passage que la caricature est une tradition en France qui remonte au Moyen Âge. Les premières caricatures sont des gravures sur bois qui datent du XIVe siècle. Elles deviennent populaires au XVe siècle, grâce à l’imprimerie qui permet d’en multiplier les exemplaires. La caricature politique se répand à partir de la Révolution de 1789 avec, selon la BNF, plus de 1.500 gravures satiriques réalisées entre 1789 et 1792[4]. Les caricatures sont des dessins qui exagèrent et déforment la physionomie.     Au XIXe siècle, elles se moquent de personnages publics ou historiques, qu’il s’agisse d’un pape, d’un monarque, d’un homme politique. Elles sont utilisées et diffusées par les deux camps. Ce genre artistique très lié à la presse et à sa diffusion devient un langage à part entière. La caricature exprime donc une forme de critique, par l’image, à l’égard des personnages célèbres, raison pour laquelle elle fut parfois censurée par le pouvoir.

    La question de la réception de l’art concerne tous les domaines de la création artistique : arts plastiques, musique, théâtre, photographie, cinéma, littérature, danse, etc. La réception de l’art et plus particulièrement d’une œuvre peut faire l’objet de trois types de réactions possibles : positive, négative ou susciter l’indifférence. Ce troisième cas de figure est sans doute le pire qui puisse arriver à un créateur. La réception positive, quant à elle, exprime un assentiment de la part d’une large partie du public, tandis que la réaction négative peut déboucher sur des réactions diverses allant de la simple critique au geste extrême, en passant par la censure, les manifestations collectives de protestation, les procès en justice, la destruction partielle ou totale de l’œuvre, l’agression physique de l’artiste ou de l’auteur.

    L’œuvre d’art n’est pas un objet anodin, habituel, commun. Elle est énigmatique, elle possède une part de mystère. Elle est le résultat d’un processus qui lui a donné existence. Créer c’est en effet donner naissance à quelque chose qui n’existait pas jusqu’alors. Dès lors que son auteur prend la décision de la montrer, il la considère comme achevée. De ce point de vue, l’œuvre est donc un aboutissement. Lorsque l’œuvre est publiée, écoutée, présentée, elle s’offre alors au jugement du public. Cet achèvement est alors le point de départ d’un autre phénomène (que la création) qu’est la réception. L’œuvre trouve son véritable achèvement dans le regard, l’écoute ou la lecture du récepteur. L’œuvre est donc aussi un point de départ, puisque commence alors une nouvelle aventure au travers de sa réception par le public. La raison en est que l’œuvre est ouverte à une multitude d’interprétations. Elle a un caractère polysémique qui invite une pluralité des regards.

    L’œuvre est au centre d’une sorte de relation peut-être impossible entre le créateur et le récepteur. Cette difficulté tient au fait que l’intention de l’artiste reste parfois un mystère pour le récepteur. Celui-ci, de son côté, exerce sa liberté dans sa façon d’appréhender l’œuvre, de l’éprouver, de tenter de la comprendre. L’œuvre échappe alors à l’artiste qui n’a aucun pouvoir sur le public. Elle poursuit son chemin au travers du regard et de l’interprétation du récepteur qui joue un rôle actif. Pour reprendre le terme de Jean Starobinski, le public est un « actualisateur » de l’œuvre[5]. Celle-ci est réactivée à chaque fois qu’un récepteur la prend en considération par-delà le temps de sa réalisation et de sa première réception. Le public est donc à la fois récepteur, juge (par le fait qu’il retient ou rejette) et créateur. À juste titre, Starobinski écrit que « la réception des œuvres est une appropriation active »[6]. Ce faisant, le récepteur devient également créateur en ce sens qu’il interprète l’œuvre, et l’interprétant, il en crée une nouvelle.

    L’artiste, et globalement le créateur ne recherche pas nécessairement la validation du public. Certains artistes transgressent délibérément les normes, les règles, les codes, et déçoivent ainsi sciemment ce que Jauss nomme « l’horizon d’attente »[7] du récepteur. L’artiste vise ainsi la surprise au travers parfois de la provocation, voire du scandale. Il est vrai que la provocation a parfois été utilisée comme stratégie pour capter la lumière, attirer l’attention. La transgression a même parfois été suscitée, encouragée, orchestrée par ceux qui influent sur le monde de l’art. Quoi qu’il en soit, comme en atteste l’histoire de l’art, c’est précisément grâce à des œuvres qui ont déçu l’horizon d’attente de leur temps que les pratiques artistes et le regard porté sur l’art ont évolué, nous obligeant à repenser l’art et sa définition.   

[1] Équipe interne du CRILLASH depuis 2011, Université des Antilles.

[2] École Supérieure du Professorat et de l’Éducation. 

[3] Voir l’ensemble de la collection des actes de colloque sur le lien :

https://berthetdominique.wixsite.com/site-du-cereap

[4] Voir http://expositions.bnf.fr/daumier/pedago/02_1.htm

[5] Jean Starobinski, « Préface » à l’ouvrage de Hans Robert Jauss, Pour une esthétique de la réception, trad. Claude Maillard, Paris, Gallimard, coll. « tel », 1978, p. 12.

[6] Id., ibid., p. 15.

[7] Hans Robert Jauss, Pour une esthétique de la réception, op. cit.

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