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Sommaire

 

 

Dominique BERTHET
Avant-propos



Jean ARROUYE
Errances conjuguées, la démarche de Reno Salvail



Jean-Georges CHALI
Vayage intérieur et voyage extérieur chez Alejo Carpentier



Dominique CHATEAU
Ontologie de l'errance (dans une perspective critique
)

Hugues HENRI
( Bulles + disques) /(cycles + transferts)= errance ?

Giovanni JOPPOLO
Le coyote, la sainte, le frère de la côte

Hervé Pierre LAMBERT
Mexique et figures de l'errance



Béatrice LAURENT
Ailleurs intérieurs : l'errance chez Thomas de Quincey



Agnès LONTRADE
Plaisir atopique et utopique  : les errances du sentiment esthétique



Alexandre PROCOLAM CADET-PETIT
Errance entre péripéties et périphéries



Sophie RAVION-D'INGIANNI
Penser l'errance…



Sébastien RONGIER
L'errance : épuisement du lieu et entrave du lien



Céline SCEMAMA
Diaspora des images. Voix et figures errantes. Histoire(s) du cinéma de Jean-Luc Godard



SENTIER
Une pratique fragmentée



Roger TOUMSON
Archéologie de l'errance

Présentation des auteurs

Actes n° 9

Figures de l'errance 

Avant-propos

 

 

Dominique BERTHET

 

L'errance a de nombreux visages et revêt différents aspects. Elle peut relever du déplacement physique, mais aussi d'un cheminement intellectuel, ou encore d'une pathologie mentale. Errance de la pensée, de l'esprit, de l'imagination vagabonde, errance de la recherche, de la réflexion, de l'écriture. L'errance en réalité nous est à tous familière, ne serait-ce que lorsque nous nous abandonnons à nos pensées, à nos rêveries. Errance immobile. La vie peut comprendre des errances occasionnelles voire être une longue errance. Nerval, Hölderlin, Nietzsche, Genet, Kerouac et tant d'autres, eurent des années ou une vie d'errance. Le thème de l'errance, faut-il le rappeler, est souvent présent dans la littérature et au cinéma. L'errance intrigue, fascine ou au contraire, inquiète. On s'y jette, on y tombe, on y résiste ou encore on s'en préserve. Mais à quoi renvoie-t-elle ?



Errer possède un double sens. Un premier venant du latin errare signifie        « aller de côté et d'autre, au hasard, à l'aventure » ; c'est ce verbe qui, au figuré, signifie s'égarer. Référence à la pensée qui ne se fixe pas, qui vagabonde. Laisser errer signifie alors laisser en toute liberté… Mais ce verbe signifie aussi se tromper, avoir une opinion fausse, s'écarter de la vérité. Par le passé, l'errant était celui qui errait contre la foi, c'était le mécréant, l'infidèle, le pécheur. Ici, l'errance conduit à l'erreur. Le Littré donne d'ailleurs comme définition de erreur : « Action d'errer çà et là. Action d'errer moralement ou intellectuellement ; état d'esprit qui se trompe ». On parlera aussi d'errements. Mais ce verbe errer ne doit pas être confondu avec un autre, qui se trouve dans l'ancien français et qui signifie aller, voyager, cheminer, verbe qui était très employé sous cette forme, venant du bas-latin iterare. C'est ce verbe qui est usité pour parler du chevalier errant, du Juif errant, ce personnage imaginaire tant peint par Chagall, que l'on suppose condamné à voyager incessamment jusqu'à la fin des temps. C'est aussi Zarathoustra, voyageur errant. Ici existe donc l'idée de voyager, même si c'est au hasard.



L'errance peut s'envisager au moins sous deux aspects. D'ordinaire, elle est associée au mouvement, souvent à la marche, à l'idée d'égarement, à l'absence de but. On la décrit comme une obligation à laquelle on succombe sans trop savoir pourquoi, qui nous jette hors de nous-même et qui ne mène nulle part. Elle est échec pour ne pas dire danger. L'errance, toujours vue sous cet angle, s'accompagne d'incertitude, d'inquiétude, de mystère, d'angoisse, de peur. C'est une épreuve. Elle est perte de soi-même. De ce point de vue, elle est opposée à la notion de plaisir. Cette conception de l'errance négative envisage l'errant comme un être égaré, désœuvré, à la dérive, sorte de SDF de notre période contemporaine. Bref, elle est considérée comme relevant d'un comportement déviant. Ainsi est-elle en effet parfois vécue. Mais l'errance est-elle toujours l'expression d'une crise ? Faut-il n'envisager que les affres de l'errance ? Sans doute pas, car elle possède de nombreuses autres facettes.



En référence au second verbe errer (iterare), être errant c'est être, à un moment donné, sans attache particulière, allant d'un lieu à un autre, en apparence sans véritable but. En apparence seulement car l'errance, est une quête ; une quête d'autre chose, d'un autre lieu qu'Alexandre Laumonier appelle le « lieu acceptable »[1]. L'errance pose en effet un certain nombre de questions concernant le lieu, l'espace, le mouvement, le temps. Cette recherche du lieu acceptable distingue l'errance du voyage. Voyager, c'est quitter son domicile ordinaire pour l'inconnu, sachant que le voyage n'est vraiment accompli qu'avec un retour. Dans le voyage, il n'est pas recherché un autre lieu où vivre. Le voyage est un éloignement momentané. Le plaisir de voyager dont a parlé Ernst Bloch dans Le Principe espérance n'existe que si le voyage est volontaire et souhaité, s'il relève d'une décision et d'un projet. Il exprime un désir d'horizons nouveaux, d'aventure, d'émancipation vis-à-vis d'un monde jugé étriqué. Voyager, c'est vouloir s'affranchir du connu. Ernst Bloch écrit : « Pour qu'un voyage plaise il faut qu'il soit entrepris de plein gré. Il faut que l'on soit heureux d'échapper à telle ou telle situation ou du moins que l'on parte sans regret. […] s'il n'est pas une rupture spontanée avec ce qui le précède, il ne mérite pas le nom de voyage. […] L'euphorie du voyage c'est l'évasion provisoire, sans regard en arrière. C'est un changement radical, que ne commande aucune contrainte extérieure »[2].



Cela dit, d'autres voyages s'apparentent à l'errance telle qu'elle vient d'être évoquée (iterare). Voyage initiatique à la découverte de soi-même et des autres, dans un rêve de l'ailleurs, tel qu'en firent l'expérience Rimbaud, Gauguin ou les hippies des années 1970 sillonnant l'Inde. Long périple à la recherche de ce lieu acceptable dont l'inattendu, l'inconnu et l'errance sont les composantes. Dans cette errance, l'objectif n'est pas de se perdre mais au contraire de se trouver. L'errance est la quête incessante d'un ailleurs. Du fait de cette quête, généralement, il n'est pas envisagé de retour en arrière, c'est-à-dire de retour à l'endroit d'où on a senti le besoin de partir. Car l'errance relève de la nécessité intérieure, nécessité de partir, de porter ses pas plus loin et son existence ailleurs. Le retour serait la marque de l'échec de l'errance parce qu'expression de l'inaccessibilité de la quête. Mais l'errance n'est pas nécessairement continue. Elle peut s'accompagner de pauses, de temps d'arrêt, de même qu'elle peut comprendre des étapes. De plus, elle ne relève pas d'une condamnation à l'errance perpétuelle. Elle peut avoir une fin. Quoi qu'il en soit, on en ressort toujours autre, différent. L'expérience de l'errance transforme, comme tout moment fort de l'existence. Après, plus rien n'est pareil. Le regard que l'on porte sur les choses a changé…



Les textes qui composent cet ouvrage furent présentés à l'occasion du 9° colloque organisé par le CEREAP qui s'est tenu en Martinique, en décembre 2003[3], sur le thème « Errances ». Ces communications venaient compléter une première série de textes publiés sur le même sujet en octobre 2003 dans Recherches en Esthétique[4]. Communications inédites d'auteurs qui, pour la plupart, n'avaient pas collaboré au numéro de cette revue, élargissant ainsi les approches et les points de vue.



Comme ces réflexions le montrent, la notion d'errance est ambiguë car elle est liée au pire (la perte de soi) comme au meilleur (l'éloge de l'imprévu). Tout dépend du point de vue à partir duquel elle est envisagée. Ces textes tentent d'apporter des réponses aux questions : qu'est-ce que l'errance ? Quelles sont ses manifestations ? S'agit-il d'une absence de finalité, d'une perte du sens ou d'une poétique du lieu ? Déperdition, dépossession ou démarche initiatique, manière de vivre un idéal ? Egarement ou prémisses d'une démarche créatrice ?



Ces textes investissent des domaines variés : les arts plastiques, la littérature, le cinéma et la philosophie. Des chercheurs de l'IUFM de Martinique, de l'Université des Antilles et de la Guyane , de l'Université de Paris I, de l'Université de Provence, des Beaux-Arts de Nice analysent cette notion au travers d'auteurs comme Antonin Artaud, Alejo Carpentier, Thomas de Quincey, D. H. Lawrence, Hart Crane, Jack Kerouac ; des cinéastes comme Jean-Luc Godard ou Agnès Varda ; des philosophes comme Nietzsche, Kant, Descartes, Heidegger ; des artistes comme Beuys, Orlan, Richard Long, Chen Zhen ou Reno Salvail. Trois artistes vivant en Martinique livrent aussi leur réflexion sur leur démarche et leur pratique liée à l'errance.

 

 

 

[1] Alexandre Laumonier, « L'errance ou la pensée du milieu », Le Magazine littéraire, n° 353, « Errance », avril 1997, p. 20.
[2] Ernst Bloch, Le Principe espérance I, trad. frç. Françoise Wuilmart, Paris, Gallimard, 1976, pp. 439-440.
[3] Centre d'Etude et de Recherches en Esthétique et Arts Plastiques.
IUFM de Martinique les 13 et 14 décembre 2003.
[4] Recherches en Esthétique, n° 9, « Errances », octobre 2003. 

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