EDITORIAL

Toutes les rencontres ne sont pas semblables et ne produisent pas les mêmes effets. Aller à la rencontre, au-devant de quelqu'un qui vient, relève d'un type d'action qu'il faut distinguer de la rencontre fortuite. La rencontre qui arrive ou qui semble arriver par hasard, est un surgissement de l'imprévu au cœur du présent. Hors du prémédité, du prévisible, du rendez-vous, cette rencontre-là relève de l'inattendu. Elle se distingue donc du simple contact, de la mise en présence. Elle peut s'envisager aussi, parfois, en termes de mystère, un mystère actif. La rencontre est un moment particulier, hors du commun. La véritable rencontre n'est pas sans lendemain et sans conséquences. Elle est rare. C'est un événement.

La rencontre est tout autant associée à l'éblouissement, à l'enthousiasme, au vertige qu'au désastre, à la catastrophe, au drame. La raison en est que la rencontre renvoie aussi bien à une conjonction heureuse qu'au combat. La rencontre sportive met en compétition deux individus ou deux équipes. La rencontre permet aussi de désigner un duel. Dans sa dimension guerrière c'est un combat entre deux ennemis, deux peuples, deux civilisations, deux nations. Il s'agit de la rencontre-collision, de la rencontre-conquête, « l'Histoire avec sa grande Hache » disait Georges Perec. La rencontre est alors un séisme.

Selon le cas, la rencontre brise ou féconde, détruit ou donne naissance, anéantit ou réenchante. Heureuse ou tragique, belle ou monstrueuse, porteuse d'espoir ou cruelle, elle est marquante, déterminante. Elle est, au sens propre comme au sens figuré, un choc. Après, plus rien n'est pareil. Elle fait basculer les choses. Elle est une bascule. C'est cette rencontre-choc, cette rencontre-bascule qui est traitée dans ce douzième numéro de Recherches en Esthétique .

S'il est question dans ces pages de la rencontre de l'autre, d'objets, de lieux, avec la part d'étonnement voire d'inquiétude que cela suppose, d'autres textes interrogent la rencontre entre les arts et les techniques dans une grande diversité. Il en ressort l'idée que ces rencontres sont productrices de nouveautés artistiques et de devenir. Dès les premières avant-gardes du XXe siècle, la rencontre et la combinaison de différents arts ont donné lieu à d'inventives et surprenantes réalisations. L'art de ces dernières décennies qui puise dans des domaines extra-artistiques n'est pas en reste. Penser la rencontre en art, c'est penser l'infini des possibles dans le mouvement permanent de l'imprévisible.

La rencontre est à l'opposé de ce qui est figé, inactif. Elle est le mouvement. Il y a une dynamique de la rencontre. C'est ce que l'on pourra observer dans le témoignage d'artistes qui évoquent ici leur pratique de la rencontre tant dans la réalisation de leur œuvre que parfois dans la participation active de l'autre dans l'élaboration de celle-ci. Enfin, un autre type de rencontre est aussi évoqué dans ce volume : la rencontre esthétique. Des critiques d'art, des historiens d'art et des commissaires d'expositions nous entraînent dans leurs analyses et leurs interprétations d'une œuvre qui les a frappés.

La rencontre est une expérience décisive, imprévisible par définition, entre un sujet ouvert, réceptif et un fait. Ce fait important qui survient dans la réalité, produit une sorte de déclic. Relationnelle ou esthétique cette rencontre trouble. Les pages de cet ouvrage nous révèlent ce trouble, nous ouvrent à une poétique et à une esthétique de la rencontre.



Dominique Berthet