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Sommaire

 

Editorial : Dominique BERTHET



I – L’IMPREVISIBLE DE L’EXISTENCE
Marc JIMENEZ, L’imprévisible artistique: une mécanique de l’incontrôlé, entretien avec Dominique Berthet
René PASSERON, Notes pour une poïétique de l’imprévisible
Hervé-Pierre LAMBERT, Créativité imprévisible et plasticité cérébrale
Florent PERRIER, Des corps sans histoire – théâtres de l’imprévisible
SENTIER, L’imprévisible est nécessaire



II – LE CINEMA ET L’ARCHITECTURE FACE A L’IMPREVISIBLE
Dominique CHATEAU, La caméra positionnelle devant l’imprévisible monde (à propos de Robert Bresson et Jacques Tati)
Hugues HENRI, « Architectures de l’imprévisible » chez Tadashi Kawamata
Heiner WITTMANN, Construire l’imprévisible. Une brève esthétique de l’architecture



III – L’IMPREVISIBLE COMME MATERIAU ARTISTIQUE
Franck DORIAC, « Oh ! »
Pierre JUHASZ, Imprévisible et création : quelques considérations en vue d’un enseignement artistique
Jean-Marc LACHAUD, Au coin d’une rue, soudain, l’imprévisible…
Ernest PIGNON-ERNEST, Le lieu comme matériau, entretien avec Dominique Berthet
Marion HOHLFELDT, L’imprévisible comme topographie du possible. La réception « émancipée » dans l’œuvre de Jessica Stockholder
Hélène SIRVEN, Alexis Harding : Deep Painting. De l’incompatible à l’imprévisible
Yann TOMA, Flux radiants et imprévisibilité



IV – L’ART EN CARAÏBE ET L’IMPREVISIBLE
Samia KASSAB-CHARFI, Le corps inhabitant de l’imprévisible
Dominique BERTHET, Bruno Pédurand, au risque de l’imprévisible
Sophie RAVION D’INGIANNI, A fleur d’œuvre, l’inattendu est au fond des choses
Dominique BERTHET, Luz Severino, un regard sur le monde
Jean-Louis LEBRUN, Mesurer l’impossible, entretien avec Dominique Berthet
STAN, De l’abstraction comme principe élevé à la figuration comme narration de l’intime, entretien avec Sébastien Caro



V – NOTES DE LECTURE
PUBLICATIONS RECENTES

n° 15 L'Imprévisible

EDITORIAL

D’une manière générale, l’homme essaie par divers moyens d’avoir le contrôle sur les choses, de maîtriser son existence, de réduire au maximum la part de hasard. Il tente d’anticiper le futur, d’éviter les risques et de s’en protéger. Contre la menace de l’imprévu, il organise, programme, prévoit. Il est tranquillisé par le connu, rassuré par l’ordre. Lorsqu’un élément ou un fait nouveau surgit dans sa vie, il s’accompagne de trouble. L’imprévu vient dérégler ses habitudes, déréguler son quotidien, perturber son rythme ; alors l’inquiétude l’envahit. Un vent de désarroi souffle sur son univers et le secoue, le déstabilise, parfois l’ébranle.

Les États sont eux aussi dans une pratique du contrôle. Ils mettent en place des structures d’observation, des dispositifs de surveillance, des instances de réglementation, des appareils de répression. L’écart est suspect, les marges sont épiées, la révolte canalisée voire réprimée. Il importe que le moins de choses possibles échappent à la vigilance, à la prévision, à l’attendu, à la règle, à la norme, à la loi.

Face à l’imprévisible, à l’inconnu, à la mort, l’homme s’est aussi équipé de croyances et de religions qui sont censées le rassurer, l’aider à surmonter les difficultés et les douleurs de la vie. L’imprévisible est ignoré, le hasard nié. La croyance répond à l’incertitude et au doute.

Le monde dans lequel nous vivons entend laisser le moins de place possible à l’imprévisible. L’imprévu, l’inconnu, le hasard sont considérés comme des trouble-fête, des menaces, des dangers. Or, le risque est permanent. L’imprévisible quant à lui est susceptible de surgir à tout moment. Vivre est une expérience permanente de l’imprévisible. Si on tente d’appréhender, d’évaluer le risque pour mieux le réduire, l’imprévisible, lui, est impossible à prédire, à anticiper, à calculer, à planifier. Dans l’expérience de l’imprévisible les attitudes diffèrent. Confronté à sa manifestation, chacun réagit de manière singulière en fonction de son aptitude ou inaptitude à l’intégrer ou à le surmonter.

Mais face à l’imprévisible d’autres postures sont aussi à envisager. Elles concernent autant l’existence que la pratique artistique. L’imprévisible n’est pas nécessairement synonyme de danger, il peut être aussi moteur, mouvement, élan, dynamique. S’il n’est pas subi, il peut encourager l’action, la réorientation, la reconfiguration. Il suscite, sollicite, ouvre sur d’autres possibles. Il introduit le nouveau ; point de départ d’autre chose. Ce faisant, il est promesse. Sa prise en compte dans le domaine artistique est particulièrement riche en termes d’enjeux, de réalisation et de réception des œuvres comme en témoignent les articles de ce volume. L’imprédictible, l’impondérable, l’inattendu, l’inconnu, le fortuit, la surprise, le soudain, le brusque, l’insolite, de même que l’improvisation, l’impulsion, le jaillissement, le surgissement, l’accidentel, donnent l’épaisseur et la puissance de cette notion. L’imprévisible est au cœur de la création.

Ce concept croise d’autres notions traitées précédemment dans cette revue. L’hybridation, le mélange des arts, l’audace, l’errance, l’ailleurs, la rencontre, le fragment, étudiés dans Recherches en Esthétique[1], sont en effet liés à l’imprévisible. Penser la rencontre en art par exemple, c’est envisager l’infini des possibles dans le mouvement permanent de l’imprévisible.

L’imprévisible de la rencontre est inséparable de ce que l’on appelle communément l’occasion, ou plus précisément le moment opportun. C’est-à-dire le moment qui ne se représentera pas, du moins pas sous cette forme. Les Grecs appelaient ce moment particulier où l’action humaine coïncide avec le temps, le kairos. Le kairos désigne l’aptitude à saisir l’occasion opportune. Ce qui est visé c’est l’efficacité. Il est la condition de l’action réussie, une réussite qui en réalité tient à peu de chose. Le kairos est l’instant fugitif mais essentiel, le moment fugace où tout se décide. Cela revient à dire que l’occasion d’agir est unique, que l’action est étroitement liée à la contingence. Le kairos est l’imprévisible même.



Dominique Berthet

[1] Voir les n° 5 « Hybridation, métissage, mélange des arts », n° 8 « L’audace », n° 9  

 « Errances », n° 10 « L’ailleurs », n° 12 « La rencontre », n° 13 « Le fragment ».

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