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Sommaire

 

Éditorial : Dominique BERTHET


I – Une esthétique du trouble

Marc JIMENEZ, Pour une esthétique du trouble, entretien avec Dominique Berthet

Manuel NORVAT, Esthétiques du trouble chez Glissant et Tanizaki

Dominique CHATEAU, Le trouble esthétique

Dominique BERTHET, L’expérience du trouble

Michel GUÉRIN, Troublant mortel

Gérard DUROZOI, Qui l’art trouble-t-il encore ?



II – Cinéma, photographie, nouveaux médias face au trouble

Isabel NOGUEIRA, Cinéma et peinture : visions en dehors et en dedans

José MOURE, Trouble in Paradise de Ernst Lubitsch ou le trouble des commencements

Michelle DEBAT, La boucle des troubles photographiques

Didier VIVIEN, Coca-Cola-Kodak-Color ou la beauté d’interférence

Frank POPPER, Le virus perturbateur dans l’art des nouveaux médias



III – Figures du trouble

Aline DALLIER-POPPER, Féminisme, genre et trouble dans le genre

Jean-Pierre SAG, Trouble esthétique, trouble érotique

Hervé Pierre LAMBERT, Représenter les formes visuelles de la synesthésie : Carol Steen

Pierre JUHASZ, L’Assomption du Titien : de la figure d’un trouble au trouble de la figure

Bernard LAFARGUE, Pathématique de l’humour kitsch des œuvres d’art

Christophe GENIN, Des identités troubles : griffonnage, gribouillis, graffiti d’hier et d’aujourd’hui

Hugues HENRI, Le trouble dans l’œuvre de Miyazaki



IV – Trouble et création ultramarine

Samia KASSAB-CHARFI, De la « Marche des perturbations » d’Aimé Césaire (1961) à l’éthique du trouble dans Les neuf consciences du Malfini de Patrick Chamoiseau (2009)

Jeanne OUSSANE-PITON, Vincent Mengin-Lecreulx et l’œuvre muséale

Scarlett JESUS, Une esthétique du trouble : les sculptures de François Piquet

Christian BRACY, Le trouble révélateur

SENTIER, L’ouvert troublé de la figure humaine

Richard-Viktor SAINSILY-CAYOL, Procédés hybrides comme sources de troubles, entretien avec Dominique Berthet



V – NOTES DE LECTURE

PUBLICATIONS RECENTES

n° 17 Le trouble 

EDITORIAL

Dans le prolongement des réflexions sur l’imprévisible (n° 15) et sur l’insolite (n° 16), ce nouveau numéro de Recherches en Esthétique porte sur la notion de trouble. A quoi ce terme renvoie-t-il ? Il est la manifestation d’une confusion, d’une émotion, un écart ou un dérèglement par rapport à un état normal. Il peut provenir du surgissement de l’imprévisible comme de la rencontre de quelque chose d’insolite qui nous étonne. Le trouble est incontrôlé. Il est généralement considéré comme un état déplaisant, un état affectif pénible accompagné de crainte ou d’angoisse. C’est omettre toutefois qu’il peut aussi exister un trouble plaisant comme dans le cas du plaisir esthétique ou de l’émoi amoureux. Etre troublé, c’est être touché, bouleversé, ému, remué, secoué. Une personne violemment émue peut perdre ses moyens.



La notion de trouble est plurielle et concerne aussi d’autres cas de figure. On dit d’un liquide qu’il est trouble lorsqu’il contient des particules en suspension qui en altèrent la clarté et la pureté. Le trouble désigne aussi quelque chose qui n’est pas net. Une image trouble est une image floue. On utilise aussi ce terme pour ce qui relève de choses ou de faits équivoques, plus ou moins avouables, louches, suspects.



Ce terme permet aussi de désigner ce qui relève du désordre, de l’agitation, du remue-ménage, du bouleversement, de la confusion, du tumulte. Lorsque cela touche plus particulièrement le social, le trouble peut prendre la forme de l’émeute, de l’insurrection, de la manifestation, de la révolte, du soulèvement. Dans une moindre mesure, le trouble peut aussi être une nuisance. Il peut encore désigner une modification pathologique, une altération du fonctionnement de l’organisme, un dysfonctionnement du comportement physique ou mental.



Cette notion renvoie donc à de nombreuses acceptions qui traversent les articles rassemblés dans ce volume. C’est naturellement dans sa relation à l’art, aux pratiques artistiques et aux œuvres que le trouble est ici étudié, mais il était difficile de faire abstraction de ses autres acceptions, d’autant que celles-ci trouvent des échos dans le domaine artistique. L’esthétique, les arts plastiques, la photographie, le cinéma, les nouveaux médias, la littérature, sont autant de domaines dans lesquels les auteurs ayant collaboré à ce numéro ont abordé le trouble.



En termes de troubles sociaux et politiques, l’actualité de ces derniers mois a été particulièrement chargée. Les révolutions tunisienne et égyptienne qui ont chassé leurs dirigeants – Ben Ali le 14 janvier et Hosni Moubarak le 11 février – ont provoqué une véritable onde de choc dans le monde arabo-musulman. Le Yémen, l’Algérie, la Libye, le Bahreïn, la Jordanie, la Syrie ont été secoués par un mouvement de protestation que la police et l’armée, dans plusieurs de ces pays, ont réprimé dans le sang. Ces soulèvements visaient des régimes en place depuis de nombreuses années, la palme revenant au Yemen où Ali Abdallah Saleh tient le pouvoir depuis 33 ans, et à la Libye où Mouammar Kadhafi y est resté 42 ans. Au moment où j’écris ces lignes, après la chute de Tripoli, Mouammar Kadhafi reste introuvable. Ces révoltes et révolutions ainsi que les répressions sanglantes qui les ont accompagnées n’ont pas laissé indifférents un certain nombre d’artistes. Parmi eux Thomas Hirschhorn.



Cet artiste expose à l’actuelle 54° biennale de Venise (juin-novembre 2011), dans le pavillon suisse, une installation troublante, intitulée Crystal of Resistance, d’une grande force visuelle au sein de laquelle sont présentées dans tout l’espace du sol au plafond, telle une caverne, des accumulations d’objets divers : chaises en plastiques, téléphones, écrans d’ordinateur, vélos d’appartement, au plafond des formes rappelant des cristaux, l’ensemble recouvert d’aluminium ; accumulation aussi de tapis enroulés, de boîtes en plexiglas enfermant chacune un livre, de magazines, de poupées Barbie,  etc. ; bref, un véritable capharnaüm, contenant aussi des images de magazines scotchées côte à côte à des cordes, formant un réseau en étoile ou traversant l’espace. Alors que l’ensemble de l’installation est plutôt de l’ordre du ludique, du joyeux bazar, la vue de ces photographies est insoutenable. Il s’agit d’images de corps violentés, de fragments de corps dissociés, de corps ensanglantés, mutilés, ou de cadavres baignant dans leur sang, autant d’images prises sur le vif lors des manifestations dans les pays arabes, publiées dans la presse internationale. Cette installation de Hirschhorn produit véritablement un choc. Elle interpelle. « Je veux situer mon travail dans la zone de conflit, je veux qu’il s’érige dans le conflit et qu’il y soit résistant »[1] déclare l’artiste. Les livres placés dans les boîtes sont des ouvrages qu’il a lus pendant qu’il travaillait à cette installation. Parmi eux, on trouve des livres de Fernando Pessoa, Edouard Glissant, Michel Foucault, George Sand, Gaston Bachelard, Giogio Agamben, Alain Badiou, etc. Ce sont les références qui ont accompagné son travail. Il s’agit de livres-compagnons.



Je viens d’évoquer dans cette imposante réalisation la présence d’ouvrages d’Edouard Glissant : Poétique de la relation et Le discours antillais. Edouard Glissant nous a quittés le 3 février 2011 laissant derrière lui une œuvre magistrale : poésie, théâtre, romans, essais. Il n’est pas certain que l’on ait aujourd’hui encore véritablement cerné toute l’importance de ses écrits. Il a forgé ou s’est approprié un certain nombre de notions comme celles d’antillanité, de créolisation, de pensée du tremblement, de Tout-monde, de Chaos-monde, de poétique de la relation, de rhizome, de mondialité, etc., sur lesquelles il nous faudra revenir pour en mesurer la portée et les véritables implications.



Edouard Glissant a été de nombreuses fois cité dans Recherches en Esthétique, il nous avait autorisé à reproduire des fragments de La Cohée du Lamentin dans le numéro sur les « Utopies »[2], nous avions aussi reproduit une photographie de lui tout à fait insolite dans le numéro sur « L’imprévis- ible »[3], prise par Yann Toma en 2009. Nous lui rendons hommage aujourd’hui en publiant un article signé Manuel Norvat « Esthétiques du trouble ». La pensée du tremblement, écrivait Edouard Glissant « nous unit dans l’absolue diversité, en un tourbillon de rencontres. Elle est l’Utopie qui jamais ne se fixe et qui ouvre demain : comme un soleil ou un fruit parta-   gés »[4].

Dominique Berthet

[1] Cf. brochure publiée à l’occasion de cette exposition, p. 10.

[2] Edouard Glissant, « Nous ne craignons pas l’utopie », Recherches en Esthétique, n° 11, « Utopies », oct. 2005, pp. 21-24.

[3] Cf. article de Yann Toma « Flux radiants et imprévisibilité », photo p. 142 ainsi que dans le cahier couleur central p. 5. In Recherches en Esthétique, n° 15, « L’imprévisible », oct. 2009.

[4] Edouard Glissant, La Cohée du Lamentin, Paris, Gallimard, 2005, p. 33.

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