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Sommaire

Éditorial : Dominique BERTHET

 

I –  Poétique et poïétique du hasard

Marc JIMENEZ, entretien avec Dominique BERTHET, Une poétique du hasard

Michel GUERIN, Nécessité du hasard

Christophe GENIN, Science de l’art – science de l’indétermination

Christian RUBY, Par hasard, pur hasard, au hasard face à l’œuvre d’art !

SENTIER, Hasard et authenticité

 

II – Hasard, cinéma et littérature

Dominique CHATEAU, Le hasard et le destin. A propos d’une séquence singulière de The Curious Case of Benjamin Button de David Fincher

Sébastien RONGIER, Le Général Instin, le hasard à l’œuvre

Scarlett JESUS, De Mallarmé à Soulages : réflexions à propos d’une poïétique du hasard

 

III – Pratiques du hasard

Dominique BERTHET, Dadaïsme et Surréalisme, le hasard comme catalyseur

Isabel NOGUEIRA, Guerre, crise, art et hasard

Aline DALLIER, Le son, le silence, l’indétermination dans l’œuvre de John Cage

Frédéric LEFRANCOIS, Vers une poïétique du hasard : les fresques vivantes du Living Theatre

Gérard DUROZOI, Au hasard de Fluxus, entre autres

Hélène SIRVEN, Anecdoter le hasard : le geste topographique de Daniel Spoerri

Frank POPPER, L’art génératif et le hasard

Marion HOHLFELDT, Faites vos jeux ! L’aléa ludique et ses formes de détournement

 

IV – Le hasard dans l’art des Antilles et de la Réunion

Christelle LOZERE, Les heureux hasards de la nature : la quête de l’émotion inattendue face à la beauté des paysages antillais

Gisèle GRAMMARE, Conversation dans la jungle

José LEWEST, La prégnance du hasard dans l’évolution des arts plastiques en Guadeloupe

Christian BRACY, Des principes rigides balayés par des expressions spontanées et aléatoires

Aude-Emmannuelle HOAREAU, Problématiques du hasard dans l’art réunionnais

Hugues HENRI, L’Entropîle ou le hasard comme moteur de l’œuvre

Annabel GUEREDRAT et Henri TAULIAUT, Sun of Success, entretien avec Dominique BERTHET,

Laurette CELESTINE, Hasard et art-thérapie : étude de cas 

 

V – NOTES DE LECTURE

n° 22 Art et hasard

EDITORIAL

    L’année 2016 a fait l’objet de deux commémorations : les cent ans du Dadaïsme et les les cinquante ans de la mort d’André Breton, père du Surréalisme ; deux mouvements artistiques qui ont fait du hasard un moteur de création. Le recours au hasard et les différentes méthodes mises en place pour explorer l’inconnu, l’imprévisible, l’incontrôlé, la surprise, ont contribué à libérer les pratiques artistiques de ces deux mouvements majeurs du XXe siècle des carcans d’un art traditionnel fondé sur des règles, des normes, des codes et des contraintes. Ces deux mouvements artistiques, instaurateurs d’un art parfois facétieux,  résolument perturbateur, audacieux, contestataire, accompagné d’un position-nement idéologique révolutionnaire de ses membres, ont considérablement influé sur le cours de l’art et peut-être aussi sur le cours de l’histoire. Du moins, les dadaïstes comme après eux les surréalistes – qui furent parfois les mêmes –, n’ont pas été frileux dans leurs engagements politiques. Pour en revenir au hasard, les surréalistes quant à eux parleront de « hasard objectif », renforçant la complexité de cette notion.

    Par la suite, plusieurs avant-gardes artistiques des années 1960 et 1970, de même que de nombreux artistes ont reconnu le rôle joué par le hasard dans leur production, exploitant ses ressources plutôt que de chercher à le contrôler. Au cours du XXe siècle, pour ne citer que quelques artistes comme Pablo Picasso, Nicolas de Staël, Francis Bacon, John Cage, Willem de Kooning, Cy Twombly, Gerhard Richter, Daniel Spoerri, Jean Dubuffet, les artistes de Fluxus ou encore du Living Theatre, ont reconnu le rôle bénéfique du hasard et de l’accident.

    Jean Dubuffet par exemple, avait établi une relation intime avec le hasard, quoique différente de celle entretenue par André Breton et les Surréalistes. Il a bâti l’ensemble de son œuvre et de sa réflexion sur la négation de la raison et de la norme. Dans L’Homme du commun à l’ouvrage, il a souvent parlé de son rapport au hasard. Il y présente l’œuvre d’art comme « l’empreinte d’une aventure » dont on ignore où elle nous mène et dans laquelle « on y lit tous les combats intervenus entre l’artiste et les indocilités des matériaux qu’il a mis en œuvre »[1]. La dimension imprévisible du résultat était pour lui ce qui faisait l’intérêt de la création, ce qui rendait l’œuvre captivante ; à l’artiste de composer avec le fortuit, de l’exploiter et de tenter d’en tirer bénéfice. Laisser le hasard se produire, c’est laisser à l’œuvre toute sa vitalité. Dubuffet écrivait à ce propos : « l’artiste est attelé avec le hasard ; ce n’est pas une danse à danser seul, mais à deux ; le hasard est de la partie. Il tire à hue et à dia, cependant que l’artiste dirige comme il peut mais avec souplesse, s’employant à tirer parti de tout le fortuit à mesure qu’il se présente, le faire servir à ses fins, sans s’interdire d’obliquer un peu ses dernières à tout moment »[2]. Cette dernière remarque éclaire sur la démarche de Dubuffet.

    Le processus créateur est souvent comparé à une lutte entre une intention, une prévision, une volonté et l’irruption de l’imprévu, de l’aléa, de l’incontrôlé. La création ne se fait pas dans la sérénité, mais dans la recherche, l’expérimentation, l’exploration ; bref, dans l’incertitude, dans l’intranquillité. « La création n’est qu’une série d’hésitations. S’il n’y a pas d’hésitations, d’inquiétude, d’interrogation, ce ne serait plus que de l’habilité »[3] disait Édouard Pignon avant d’ajouter : « C’est dans la découverte, dans le frémissement de l’inquiétude, dans le frémissement de l’hésitation qu’on cueille les fleurs de la création »[4]. La création artistique nous plonge dans une constante oscillation entre intention et hasard, projet et inconnu, dessein et surprise. Il s’agit d’un saut dans l’inconnu. Dans le cas contraire, comme le faisait remarquer Édouard Pignon, la création ne serait que de l’habilité, du savoir-faire, de la technique.

    Questionner la présence et le rôle du hasard dans l’art, c’est découvrir les voies inattendues explorées par les artistes. Les sentiers de la création ne sont pas balisés. « L’art est une découverte »[5], disait encore Édouard Pignon. Ce 22e numéro de Recherches en Esthétique nous entraîne sur ces chemins escarpés. Le recours au hasard est l’expression d’un désir d’autre chose que le connu et l’attendu, il donne lieu à d’autres manières de penser l’art dans sa relation à la vie.

 

Dominique Berthet

 

[1] Jean Dubuffet, L’Homme du commun à l’ouvrage, Paris, Gallimard, coll. « Idées », 1973, p. 28.

[2] Id., ibid., p. 28.

[3] Édouard Pignon, A contre-courant, Paris, Stock, 1974, p. 215.

[4] Id., ibid., p. 229

[5] Id., ibid., p. 109

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