Sommaire
Éditorial : Dominique BERTHET
I – Création et action
Marc JIMENEZ, entretien avec Dominique BERTHET, L’art-action : entre praxis et performatif
Frank POPPER, Actions créatrices
Christian RUBY, L’inachevable exercice esthétique
Martine BOUCHIER, L’esthétique en action
Christophe GENIN, Le temps de l’action
Dominique BERTHET, Création, corps et action
Isabel NOGUEIRA, Art, action et non-action : « I would prefer not to »
II – Cinéma, photomontage, littérature
Dominique CHATEAU, L’action poïétique et l’action structurelle. Notes sur un film de Youssef Chahine : Le Caire, raconté par Youssef Chahine (1991)
Valentine PLISNIER, L’art africain : de la réception esthétique à l’action politique dans le photomontage. Hannah Höch, Mieczyslaw Berman et Maud Sulter : trois artistes, trois époques
Samia KASSAB-CHARFI, Visions de l’art aux antipodes : Pascal Quignard et Marguerite Yourcenar
III – Figures de l’action
Marie-Noëlle SEMET, Le geste artistique mis en scène : éclat de l’action, actions en éclats
Aline DALLIER, Art et actions féministes
Frédéric LEFRANÇOIS, De la performance à la re-performance : échos de corps en action Christophe VIART, Figures de l’attente
Hugues HENRI, Brésil, 1960-2010 : approches du corps à l’œuvre, avec implications du public
Marion HOHLFELDT, Venez créer vous-mêmes. L’art action dans l’œuvre de Jean Tinguely au tournant des années 1960
Hélène SIRVEN, Action lente. L’Œuf de Poincheval
Claire CHESNIER, entretien avec Mathieu FRANÇOIS du BERTRAND, La magnitude du geste
IV – Art et actions dans la Caraïbe et à la Réunion
Aude-Emmanuelle HOAREAU, Jack Beng-Thi : sculpter le corps du soulèvement
Patricia DONATIEN, Mendive : les pouvoirs de l’action artistique rituelle
SENTIER, Quelques considérations à propos des champs d’action des artistes à la Martinique
Marvin FABIEN, Festival International d’Art Performance (FIAP) 2017. La projection multiple de l’œuvre en action : la place des nouveaux médias dans l’art performance
Scarlett JESUS, Les fresques murales de B Bird ou quand l’art fait le mur
Marvin FABIEN, entretien avec Dominique BERTHET, Culture Bouyon et nouveaux médias
V – Notes de lecture
Publications récentes
n° 23 Art et action
EDITORIAL
La création artistique, envisagée à la fois comme pensée et comme acte, est liée à la notion d’action. Lors de la création, la pensée et le corps sont tous deux convoqués. L’action est ce qui donne naissance à l’œuvre, elle est un acte producteur de quelque chose qui n’existait pas auparavant. Des auteurs comme Paul Valéry, Étienne Souriau, René Passeron ont fort bien expliqué ce qui se joue et ce qui se risque au cours du processus créateur.
Le geste peut être retenu, précis, même infime, ou peut au contraire engager totalement le corps de l’artiste comme dans les gestes de destruction d’Arman donnant lieu à ses célèbres Colères, ou encore dans les performances de Murakami Saburō (membre fondateur du groupe japonais Gutaï) traversant de grandes feuilles de papier successives tendues sur cadres.
À partir des années 1960, les artistes plaçant le corps au centre de leur création furent nombreux. Les Actionnistes viennois ou les artistes du Body Art actualisèrent et radicalisèrent le recours au corps, devenant support malmené, maltraité, mis à l’épreuve, parfois jusqu’aux limites du risque, jusqu’à l’ultime.
Si l’action concerne donc le créateur, elle peut également concerner l’œuvre elle-même. En effet, certaines produisent une action, elles agissent, accomplissent un mouvement. Tel est le cas, par exemple, des cercles en rotation de Marcel Duchamp filmés en 1926 (Anemic Cinema, by Rrose Sélavy), des machines animées de Jean Tinguely, en particulier ses machines à dessiner nommées Méta-Matics, ou encore les œuvres d’art cinétique dont une partie est en mouvement grâce à l’intervention d’un moteur, du vent ou de l’action du spectateur. C’est l’occasion de saluer ici Frank Popper qui collabore une nouvelle fois, à l’âge de quatre-vingt-dix-neuf ans[1], à Recherches en Esthétique et qui, dans les années 1960, a joué un rôle déterminant en tant que théoricien de cet art. Nous lui devons également un ouvrage dont le titre est directement lié à ce numéro : Art, action et participation[2].
L’action peut également impliquer le public. Le spectateur traditionnellement considéré comme passif, du moins cantonné à son statut de récepteur de l’œuvre, peut à son tour devenir actif comme dans le cas de pratiques qui le sollicitent, au point de l’intégrer dans le dispositif de création, voire en faire un moteur de celle-ci. Le public change alors de statut et devient acteur. Évoquons les œuvres d’art interactives qui font appel au spectateur et qui réagissent en fonction d’un environnement ou de l’action du public. Ces installations ont généralement recours à l’informatique et à des capteurs. Le public et la machine sont dans un dialogue en temps réel qui contribue à créer une œuvre d’art.
Frank Popper dans Art, action et participation faisait remarquer que depuis les années 1965 la notion d’environnement et les pratiques artistiques qui en sont issues avaient pris beaucoup d’ampleur, et que conjointement, la participation du spectateur était devenue de plus en plus importante. Depuis, la tendance soulignée par Frank Popper s’est confirmée et développée. Au tournant du XXIe siècle, l’on observe des pratiques, des « gestes artistiques » qui débordent nettement du cadre artistique habituel pour s’engager dans des actions collectives, participatives, souvent en lien avec des questions sociétales, voire politiques, où chacun participe à et de l’évènement, brouillant ainsi la frontière traditionnelle entre le créateur et le public. Il s’agit souvent de pratiques éphémères qui échappent au monde de l’art institutionnalisé, transgressent les codes traditionnels de l’art et obligent sans cesse à redéfinir les notions d’art et d’œuvre d’art.
Je tiens pour finir à rendre hommage à Aude-Emmanuelle Hoareau, décédée prématurément le 13 octobre 2017, à l’âge de 39 ans. Elle avait participé au précédent numéro de Recherches en Esthétique[3], et m’avait remis un texte pour ce présent volume. Docteure en philosophie, elle enseignait l’esthétique à l’École Supérieure d’Art de la Réunion (ESA). Elle avait entrepris dans le cadre d’une nouvelle thèse, en esthétique, à l’Université des Antilles, une recherche inédite qui aurait permis d’établir des comparaisons assurément intéressantes entre l’art de la Martinique et celui de la Réunion. Elle était par ailleurs l’auteur de deux ouvrages sur l’identité créole réunionnaise, d’une nouvelle et d’un roman pour lesquels lui avaient été décernés le Prix de la Nouvelle de l’Océan Indien et le Prix du Roman du Grand Océan, enfin d’un ouvrage sur la pole dance philosophie[4]. Ses centres d’intérêt étaient divers, elle a vécu intensément ses passions et ses engagements.
Alors que nous sommes sur le point de boucler ce numéro, j’apprends ce matin, le 5 décembre 2017, le décès de René Passeron à l’âge de 97 ans. Il avait publié en mai 2016 son dernier ouvrage : L’Amour-refus[5]. Il nous avait fait l’honneur de collaborer à plusieurs reprises à Recherches en Esthétique[6], au travers de textes toujours d’une grande profondeur de pensée. Il avait l’art de stimuler les esprits, de nous emporter dans les hautes sphères de la réflexion. Auteur de plusieurs livres sur la peinture, sur le Surréalisme et naturellement sur la poïétique, on retiendra par exemple Histoire de la peinture surréaliste[7], L’œuvre picturale et les fonctions de l’apparence[8], La Naissance d’Icare[9], Pour une philosophie de la création[10], ou encore Exclamations philosophiques[11]. Il laisse une œuvre écrite importante, fondatrice, je pense en particulier à ses ouvrages sur la poïétique. Il était également plasticien, auteur d’œuvres énigmatiques, insolites, où le tragique était associé à Éros. Il avait fait partie après la Seconde Guerre mondiale d’un groupe surréaliste dissident, d’où son intérêt pour le Surréalisme. Ses œuvres picturales se situaient d’ailleurs dans cette lignée. Sa disparition est une très grande perte. Il nous reste ses écrits pour nous accompagner dans la réflexion sur l’art, la vie et la mort.
Dominique Berthet
[1] Frank Popper est né le 17 avril 1918 à Prague.
[2] Frank Popper, Art, action et participation, Paris, Klincksieck, 1980.
[3] Aude-Emmanuelle Hoareau, « Problématiques du hasard dans l’art réunionnais », Recherches en Esthétique, n° 22, « Art et hasard », Fort-de-France, janvier 2017, p. 187-198.
[4] Concepts pour penser créole, Saint-Denis (La Réunion), Zarkansiel, 2010 ; Manifeste pour une pensée créole réunionnaise, (dir.), éditions du Cercle philosophique réunionnais, 2011 ; Le Mélanome des îles, 2e édition La Chapelle-Montligeon, Mémoires et cultures, 2007 ; Pole dance philosophie, Saint-Denis (La Réunion), Edilivre, 2017.
[5] René Passeron, L’Amour-refus, Paris, L’Harmattan, coll. « Ouverture philosophique », 2016.
[6] Dans les n° 11 (2005), n° 12 (2006), n° 13 (2007), n° 14 (2008), n° 15 (2009), n° 16 (2010).
[7] René Passeron, Histoire de la peinture surréaliste, Paris, Livre de poche, 1968, rééd. 1991.
[8] Id., L’œuvre picturale et les fonctions de l’apparence, Paris, Vrin, 1980.
[9] Id., La Naissance d’Icare. Éléments de poïétique générale, Valenciennes, ae2cg Editions, 1996.
[10] Id., Pour une philosophie de la création, Paris, Klincksieck, 2000.
[11] Id., Exclamations philosophiques suivi de Thèmes, Paris, L’Harmattan, 2003.