n° 28 Le désir

   Ce 28e numéro de Recherches en Esthétique porte sur la notion de désir dans sa relation avec l’art. La question posée est : en quoi le désir peut-il concerner l’art ? On constatera à la lecture de ces textes que le désir intervient à plusieurs niveaux et concerne aussi bien l’artiste que le public.

  Le désir est à distinguer d’autres notions comme l’envie et le besoin. Il est la manifestation d’une attraction forte pour quelque chose ou quelqu’un. Il peut également exprimer une aspiration à vivre autre chose, autrement. Il est une espérance d’un changement, parfois radical : désir de mieux-être, désir d’ailleurs, de se trouver dans un autre lieu, dans un autre contexte, dans une autre situation.

   Il est un souhait qui cherche sa réalisation, mais qui ne l’atteint pas toujours. La déception n’est pas exclue ; déception du fait du non-aboutissement, ou encore déception d’une réalisation en deçà du rêve et du fantasme. Mais l’important réside peut-être dans le fait même de désirer. Il y a un plaisir du désir, et pourquoi pas, parfois, un déplaisir. Pour paraphraser André Breton, nous pourrions dire : qu’il y ait réalisation ou non, c’est le désir qui est magnifique[1]. Le désir vise donc ce que l’on n’a pas et que l’on rêve d’avoir ou de vivre. Le désir est souvent une projection de l’imagination. On imagine ce que l’on désire et généralement de manière idéalisée.

   Le désir est une aspiration particulière. Il est précis, intense, il s’étend parfois sur une longue période. Il vient d’un sujet et vise un « objet » pris au sens large. Il exprime un vouloir de possession ou de changement. Le désir est un phénomène psychique qui échappe à la raison. Il est non rationnel et peut être producteur de trouble. Il préoccupe celui qui désire, au point de devenir parfois obsédant, d’influer sur son comportement, voire sur son existence. Le désir peut être un moteur de changement. Lorsqu’il atteint son but, les conséquences peuvent être déterminantes au point de réorienter une vie.

   Les liens entre l’art et le désir sont divers. L’un d’entre eux concerne l’œuvre en tant que représentation ou expression du désir. Des peintures libertines et « galantes » de Jean-Honoré Fragonard au XVIIIe siècle par exemple, aux expressions les plus contemporaines, en passant par certaines œuvres de Gustave Courbet, Gustav Klimt, Pablo Picasso, Hans Bellmer, les manifestations du désir sont nombreuses. Si le désir est souvent représenté ou exprimé dans les œuvres d’artistes masculins, certaines artistes femmes comme Louise Bourgeois, ORLAN, Miss.Tic, apportent une autre approche et un autre regard sur cette question.    

   Le désir est aussi au cœur du processus créateur. L’œuvre est la résultante d’une force intérieure qui pousse le créateur à réaliser ce qui relève pour lui d’une nécessité. Le désir de créer est en effet associé à un élan, une dynamique qui cherchent à exprimer quelque chose d’intime, de personnel, une vision du monde, une idée, un sentiment, une émotion. Le désir se fait nécessité. L’œuvre en est le résultat, la mémoire. Freud de son côté faisait un parallèle entre l’acte créateur et la pulsion sexuelle. Le désir est alors présenté comme pulsion de création. Ainsi, l’œuvre serait la trace de cette pulsion.

   Le corps symbolise l’objet du désir. La présence du corps dans l’œuvre peut être double, à la fois en tant que représentation et dans sa mise en jeu. La création convoque en effet la pensée et le corps au travers du geste. L’action donne forme, existence. Le corps peut également être le matériau de l’œuvre comme dans le cas de la performance.

   L’artiste de son côté cherche à susciter le désir chez le spectateur ; un désir qui se manifeste dans le regard, mais aussi dans l’envie de possession, d’acquisition de l’œuvre. Il arrive que l’artiste mette en place des stratégies pour susciter le désir du spectateur. En fonction des périodes historiques ces stratégies ont évolué. Les artistes de l’art moderne puis de l’art contemporain ont souvent eu recours à l’étonnement, à la surprise, à la transgression, à la provocation pour attirer l’attention du public et du monde de l’art. La question de la réception de l’art a d’ailleurs été traitée dans l’un des précédents numéros de cette revue (n° 21).

   Le présent numéro, propose des approches variées de cette notion de désir, puisque dans la première partie des philosophes de l’art, un sociologue de l’art, un poïéticien, une psychanalyste livrent leurs réflexions. La seconde partie est composée de textes sur le désir dans la littérature, les arts plastiques, le cinéma, l’architecture et l’opéra. Autant de domaines variés dans lesquels le désir trouve son expression. La troisième partie centre la réflexion sur la Caraïbe avec un peintre du début XXe siècle spécialisé dans « l’illustration de charme », des artistes caribéens contemporains (de Martinique, Guadeloupe, République dominicaine), dont les œuvres s’inscrivent dans cette thématique. Enfin un texte est consacré aux œuvres de commande publique en Martinique. La quatrième et dernière partie comprend trois entretiens d’artistes l’un de Martinique, une autre de Guadeloupe, le troisième de Guyane. Le lecteur pourra ainsi découvrir l’univers artistique, la démarche et les préoccupations de ces trois artistes qui développent des pratiques très différentes les unes des autres.

Dominique Berthet

[1] « Indépendamment de ce qui arrive, n’arrive pas, c’est l’attente qui est magnifique », André Breton, L’Amour fou, Paris, Gallimard, coll. « folio », 1992, p. 39.