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Sommaire

 

Éditorial : Dominique BERTHET

 

I –  APPROCHES DU CHOC

Dominique BERTHET, Hommage à Marc Jimenez

Dominique BERTHET, Le choc de la rencontre

Dominique CHATEAU, Le choc : de la phénoménologie (peircienne) à l’esthésique (valéryenne)

Bruno PÉQUIGNOT, La peur de choquer

Christian RUBY, Des chocs et des cris

François SOULAGES, Le choc ou l’interaction entre l’existence et l’art

André-Louis PARÉ, Daniel Olson : considération sur l’esthétique du choc après Walter Benjamin

Isabel NOGUEIRA, Worringer et le conflit entre « abstraction » et « empathie »

 

II – EXPRESSIONS ET RECEPTIONS DU CHOC

Richard CONTE, La peinture dans tous ses éclats, sur les Pare-brise de René Passeron

René PASSERON, L’art sur-vital

Scarlett JÉSUS, Pédagogie du choc esthétique. André Malraux et l’innamoramento

Hugues HENRI, Le choc dans l’œuvre de Francisco José de Goya y Lucientes

Hélène SIRVEN, Ailleurs, partout (2020) ou le choc de l’exil. Un film d’Isabelle Ingold et Vivianne Perelmuter

Laurent BERNAT, États de choc. Genèse d’un texte de spectacle en cours d’élaboration

 

III – ART ET CHOC EN CARAÏBE

Cécile BOURGADE, Mémoire et présent du volcan, une étude du choc à l’œuvre

Mathilde et Pauline BONNET, Le traumatisme dans la pratique artistique : ondes de choc et

survivances

Nathalie HAINAUT, Faire monde face à la tempête

Sophie RAVION D’INGIANNI, Chocs et entrechocs dans l’œuvre de l’artiste cubain Carlos Martiel

Christian BRACY, Choc, saisissement et participation

Laurette CELESTINE, « Désir cannibale » : une exposition collective choc ?

 

IV – ENTRETIENS D’ARTISTES

Alain JOSEPHINE, entretien avec Dominique BERTHET, Peindre une certaine qualité de présence.

Rodrigue GLOMBARD, entretien avec Dominique BERTHET, La création comme mesure du temps.

 

V – NOTES DE LECTURE

PUBLICATIONS RÉCENTES

n° 29 Le choc

EDITORIAL

Dominique Berthet

Au sens propre, le choc renvoie à la rencontre brutale de deux corps physiques et, par extension, à toute situation agonistique qui concerne la lutte, le conflit, la confrontation. Il est associé, en général, aux notions de collision, de fracas, de heurt violent, parfois de désastre. On peut alors se demander en quoi cette notion concerne l’art ? Comment le choc est-il envisagé dès lors qu’il est introduit dans le domaine artistique ? Ce 28e numéro de Recherches en Esthétique propose des pistes de réflexion riches et diverses montrant les liens possibles, sans naturellement prétendre à l’exhaustivité.

Si l’on se réfère à l’esthétique classique fondée sur la mesure, les justes proportions, l’harmonie, la consonance, la question se pose de savoir si le choc est compatible avec cette conception de l’art. Les avant-gardes artistiques historiques se sont précisément démarquées des codes et des normes de l’art du passé, affirmant leur rupture, de manière parfois radicale. Elles ont souvent revendiqué le choc comme principe fondateur de leurs esthétiques présentées comme novatrices, voire iconoclastes.

Walter Benjamin, pour sa part, associe la notion de choc à Charles Baudelaire et à la vie moderne dont il se fait l’écho. Dans Charles Baudelaire. Un poète lyrique à l’apogée du capitalisme Benjamin avance l’idée que l’auteur des Fleurs du Mal « a situé l’expérience du choc au cœur de son travail d’artiste »[1]. Le choc fut chez lui « un principe poétique »[2]. Le choc est décrit comme une caractéristique de cette vie moderne dans laquelle l’homme s’immerge dans la foule et est confronté à un nouveau mode de vie. Benjamin, parlant entre autres choses de la circulation et des déplacements dans les grandes villes avance que « le déplacement de l’individu s’y trouve conditionné par une série de chocs et de heurts »[3].

L’art moderne, puis l’art contemporain ont souvent utilisé le choc comme méthode. Le choc est le résultat d’un procédé technique utilisé par l’artiste. On peut parler d’un art du choc par exemple dans les procédés du collage, du montage, de l’assemblage, de la combinaison et d’une esthétique du choc dans le résultat obtenu caractérisant des pratiques qui fonctionnent sur les principes de la confrontation, du heurt, des contrastes puissants.

On parle aussi « d’œuvres-choc » pour qualifier des œuvres qui expriment de manière assumée et audacieuse une esthétique nouvelle, en rupture avec ce qui existe ou précède. Les Demoiselles d’Avignon (1907) de Pablo Picasso ou Fontaine (1917) de Marcel Duchamp sont des œuvres-choc qui ont marqué leur époque par leur côté à la fois novateur et fondateur. Une œuvre-choc n’est pas seulement une œuvre nouvelle et dérangeante. C’est aussi une œuvre qui fait date, qui marque une avancée notable, qui transforme la face de l’art.

Un autre aspect concerne la représentation ou l’expression du choc dans l’art. Il s’agit d’œuvres qui associent par exemple art et violence, soit au travers d’une représentation, soit dans le cas d’actions et de performances qui mettent le corps à l’épreuve, ou encore d’œuvres qui expriment le choc, comme on peut l’observer dans des installations résultant de brisures, cassures, destruction, etc.

Pour ce qui est des performances dans lesquelles le choc a réellement été mis en pratique par les artistes, nous pouvons citer les « tableaux-performances » de Niki de Saint Phalle, au cours desquels l’artiste faisait « saigner la peinture » en tirant à la carabine sur des poches de couleur ou encore la série des Colères au cours desquelles Arman détruisait des instruments de musique. Dans un acte plus extrême et dangereux évoquons Shoot, la performance filmée de huit secondes au cours de laquelle Chris Burden se fait tirer dans le bras par un ami armé d’une carabine 22 long rifle, où encore certaines performances d’automutilation de Günter Brus. Le choc, chez certains artistes, n’est manifestement ni de l’ordre de la simulation ni de la métaphore.

Outre ces exemples, le choc peut être recherché par l’artiste lors de la réception de son œuvre par le public. Dans ce cas, on parlera d’une stratégie du choc dans le but d’attirer l’attention du public, de déjouer l’indifférence. Il est vrai que le pire qui puisse arriver à une œuvre est de passer inaperçue, de ne susciter aucune réaction de la part du public.  

Le choc peut aussi être éprouvé par le spectateur en dehors de toute stratégie préméditée de la part du créateur. Ce choc peut être de deux ordres. Le terme « choc esthétique » permet de désigner à la fois un fort sentiment de satisfaction et de plaisir esthétique comme ce qui déplaît au plus haut point. De même que dans la vie, il peut exister un choc du premier regard ou le choc d’une rencontre aussi imprévue que déterminante, il peut se produire un choc des images, des objets, c’est-à-dire qu’une image, un objet peuvent être à l’origine d’un trouble puissant. Cela peut être le cas devant une œuvre inattendue produisant une surprise, un étonnement, un saisissement. Le choc devant une œuvre est alors à l’origine d’une émotion forte. A contrario, le choc esthétique peut aussi renvoyer à ce qui heurte violemment la sensibilité du récepteur et lui procure un profond déplaisir, entraînant rejet, hostilité, action démesurée, voire extrême.

La réception des œuvres est souvent imprévisible, car elle dépend de plusieurs paramètres liés à l’intention de l’artiste, à l’aspect de l’œuvre, au lieu d’exposition, au contexte, à la période historique, à la culture, aux croyances, aux affects, etc. Le choc esthétique est un phénomène individuel, subjectif qui peut toutefois dépasser la seule sphère privée pour concerner le collectif et engager, à grande échelle, des questions de société. 

Les textes rassemblés dans le présent volume touchant des domaines artistiques aussi variés que la peinture, le graphisme, le collage, le volume, la performance, la photographie, l’opéra, le cinéma, etc., montrent que cette notion n’est pas étrangère à l’art et que les enjeux de cette esthétique ouvrent des perspectives aussi inattendues que stimulantes.

 

***

 

            Il est un choc que j’aurais assurément préféré ne pas avoir à mentionner dans ces pages. Le 1er  août 2023, j’apprenais par Sophie Leperlier Jimenez, le décès de son époux, Marc Jimenez, survenu deux jours plus tôt, le 30 juillet. Cette terrible nouvelle m’a plongé dans une sorte de sidération tant elle était inattendue. Nous avions coutume à partir de mai-juin de chaque année d’échanger avec Marc Jimenez sur la thématique du numéro de Recherches en Esthétique à paraître. Cette fois, les réponses à l’entretien tardaient à arriver, jusqu’à cette bouleversante nouvelle. Marc Jimenez était un collaborateur précieux, donnant le ton et apportant les orientations théoriques utiles à la compréhension de chaque sujet et de ses implications. Ces entretiens se sont succédé sans interruption de 1999 (n° 5) jusqu’en 2022 (préparation du n° 28) durant donc 23 années. C’est dire si cette disparition nous affecte profondément. Nous adressons à Sophie Leperlier Jimenez, aux enfants de Marc Jimenez et à l’ensemble de la famille nos sincères condoléances et tout notre soutien.     

 

[1] Walter Benjamin, Charles Baudelaire. Un poète lyrique à l’apogée du capitalisme, trad. Jean Lacoste, Paris, Payot, coll. « Petite bibliothèque Payot », 1979, p. 160.

[2] Id., ibid., p. 228.

[3] Id., ibid., p. 179.

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