SOMMAIRE
I - MODERNITÉ, AVANT-GARDITÉ, HYBRIDATION
Marc JIMENEZ, La modernité, un projet toujours inachevé, entretien avec Dominique Berthet
Dominique CHATEAU, Avant-gardité, hypermodernisme et postmodernisme
Edmond COUCHOT, L'art numérique : dissolution ou hybridation ?
II - LA RUPTURE, UNE ILLUSION ?
Giovanni JOPPOLO, Tradition de la transition
Jean ARROUYE, Typologie artistique
Yves BROCHARD, E 17
Icleia BORSA CATTANI, Le corps répété
III - TRADITIONS, HÉRITAGES, MODERNITÉ
Michèle-Baj STROBEL, Passages transatlantiques
Dominique BERTHET, Héritage et modernité
Ernest BRELEUR, Qu'avons-nous à voir avec la modernité et la post-modernité ?
IV - L'AFRIQUE, MYTHE ET RÉALITÉ
Valérie JOHN, Tout oublier pour tout recommencer (Dépaysement... Rapiècement)
Louis LAOUCHEZ, Mémoire d'Afrique, cri d'Antilles, entretien avec Jean Marie-Louise
Christian BERTIN, La mémoire en attente, entretien avec Jean Marie-Louise et Dominique Berthet
Bruno PEDURAND, La modernité, un concept à géométrie variable, entretien avec Dominique Berthet
Christian BRACY, "La modernité a favorisé un bricolage intellectuel tous azimuts", entretien avec Dominique Berthet
V - PRIMITIVISME ET MODERNITÉ
Jocelyn VALTON, Richard-Victor Sainsily, Dark painting - Anthropometry, 1998
Sophie D'INGIANNI, Les pratiques de l'installation dans le travail de Tony Capellan.
VI - NOTES DE LECTURE
n° 6 Tradition, modernité, art actuel
EDITORIAL
A l'occasion d'un entretien accordé à Jacques Henric, dans un précédent numéro d'Art Press, le peintre Tony Scherman donnait sa vision de la tradition et de l'avant-garde. "La tradition, un certain canon de la peinture [déclarait-il], c'est un peu comme l'enclos qui retient prisonnier le cheval, mais vient le moment où le cheval, après avoir longtemps tourné, va franchir l'enclos et gagner sa liberté. Pareil pour l'artiste. Le moment où il abandonne tradition et canon est un grand moment de délire. Un moment à la fois effrayant et exaltant, où on pourrait penser que l'avant-garde existe dans l'éternité. La vérité c'est que le cheval court un peu et s'arrête, il vient de retomber dans un autre pré autour duquel il faut reconstruire un nouvel enclos"[1]. Cette métaphore de la tradition artistique occidentale, décrite comme un enclos duquel il importe de s'échapper, est assez bien vue. Cette liberté gagnée (comparée ici à un délire), ce sentiment d'innovation, s'accompagnent d'une effervescence particulière, d'une jubilation, d'une ivresse.
Mais le temps érode. L'histoire des avant-gardes montre bien l'inéluctabilité de leur fin respective ainsi que la nécessité du sursaut, du dépassement, créant une tradition de la rupture inaugurée par les Impressionnistes. Harold Rosenberg, quant à lui, parlera de "tradition du nouveau". Baudelaire avait fort bien expliqué la situation, définissant la modernité comme "le transitoire, le fugitif et le contingent" qui, dans un glissement constant, se transforme en "antiquité", laissant place à une nouvelle modernité. L'éternité est étrangère à la modernité et à l'avant-garde.
Pourtant, la vision de Tony Scherman, in fine, est trop réductrice. Pourquoi ne voir au-delà de l'enclos qu'un pré autour duquel "il faut reconstruire un nouvel enclos". Quelle impérieuse nécessité préside à la reconstruction de l'enclos ? Comme si l'art et l'artiste étaient condamnés à être constamment en situation d'enfermement, en garde à vue. Et si au-delà du premier enclos évoqué, s'étendait non un pré, comme le pense le peintre, mais la pampa, l'étendue insoupçonnée, les espaces sauvages et inconnus ? C'est dans l'étendue, dans l'aventure, dans l'ouverture de brèches que l'art s'invente. C'est dans l'expérimentation, le dépassement des frontières, les croisements qu'il se régénère.
Cela dit, cette relation particulière à la tradition est probablement propre à l'Occident qui a donné naissance à la modernité. A l'heure de la mondialisation, la tradition est-elle partout vécue comme cette limite, cet enfermement sclérosant ? Ce numéro de Recherches en Esthétique fournit des analyses qui montrent que le problème est bien plus complexe qu'il n'y paraît. Quelles relations la modernité entretient-elle avec la tradition ? Le singulier convient-il d'ailleurs à ces notions ? Quelle dette l'art actuel a-t-il vis-à-vis de la modernité ? De la post-modernité ? Comment analyser les manifestations d'hybridation, de métissage, de créolisation présentes dans l'art de ces dernières années ?
Ce numéro présente des positions non consensuelles. Le lecteur y trouvera des références et des regards inhabituels. Une façon peu "européennement correcte" de questionner les notions en présence, pour un partage, non d'exotismes[2], mais de résistance au pluralisme consensuel en voie de mondialisation.
Dominique Berthet
[1] Tony Scherman, interwiev par Jacques Henric, Art Press, n° 252 , déc. 1999, p. 19.
[2] Référence à la 5° Biennale d'art contemporain de Lyon, "Partage d'exotismes", juin - septembre 2000.