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Sommaire

 

Editorial : Dominique Berthet

 

I – L’ENGAGEMENT EN QUESTION

Marc JIMENEZ, entretien avec Dominique Berthet, Le choix de la création

Dominique CHATEAU, L’engagement comme commencement et comme contrat

Christophe GENIN, Art et engagement : une histoire de gages

Jean-Marc LACHAUD, Que peut l’art ?

Dominique BERTHET, L’œuvre d’art : arme ou ornement ?

Christian RUBY, Le spectateur désengagé de l’engagement. A partir de Gilles Deleuze, Jean-François Lyotard, Michel Foucault, Jacques Rancière

 

II – L’ENGAGEMENT DES ARTISTES

Aline DALLIER et Frank POPPER, L’engagement socio-politique : une tendance forte dans l’art actuel

Isabel NOGUEIRA, Le mur de la rue : modernité inversée

Marion HOHLFELDT, Ici et peut-être ailleurs.

La notion de l’engagement dans le travail et l’œuvre de Lamia Joreige

Hugues HENRI, Lygia Pape, femme-artiste anarchiste et anthropophage

Pierre JUHASZ, Figures de l’engagement dans l’œuvre de Joan Fontcuberta

SENTIER, Résistances et révoltes

 

III – CINEMA ET ENGAGEMENT

Florent PERRIER, Dessaisissement de l’artiste engagé (en réserve d’Alejandra Riera)

Sébastien RONGIER, Alain Cavalier, l’engagement dans le film

Rosa DIAS, Projet Belair : cinéma engagé

 

IV – L’ENGAGEMENT EN CARAIBE

Scarlett JESUS, A propos de l’engagement de la critique d’art.

Manuel NORVAT, Littérature érotique et engagement

Christian BRACY, Le sujet, le contexte, la totalité

Patricia DONATIEN-YSSA, L’art caribéen : un espace d’engagement multiple

Joël NANKIN, entretien avec Dominique Berthet, L’art comme forme de résistance

Dominique BERTHET, Hommage à Serge Goudin-Thébia

 

V – NOTES DE LECTURE

PUBLICATIONS RECENTES

n° 19 Art et engagement 

EDITORIAL

   Que recouvre la notion d’engagement dès lors qu’elle est associée au terme « art » ? C’est à partir du XIXe siècle que l’on commence à parler de littérature et d’art engagés en y mêlant une connotation politique. Pour ce qui est des mouvements artistiques et littéraires, nombreuses sont les avant-gardes au cours du XXe siècle qui furent politiquement engagées : le Dadaïsme, les Futurismes italien et russe, le Constructivisme, le Surréalisme, la Figuration narrative, etc. Au cours de ce même siècle, très nombreux furent les penseurs, les artistes et les écrivains qualifiés d’engagés. Il suffit de rappeler quelques noms tels que Jean-Paul Sartre, Albert Camus, Frantz Fanon, Louis Althusser, Gilles Deleuze, Félix Guattari, Michel Foucault, Pierre Bourdieu… ; parmi les plasticiens : Pablo Picasso, Fernand Léger, Bernard Rancillac, Gérard Fromanger, Ernest Pignon-Ernest… ; pour les poètes : André Breton, Benjamin Perret, Paul Eluard, Louis Aragon, Pablo Neruda, Aimé Césaire… La liste, naturellement, n’est pas exhaustive. Les années 1990 furent, en revanche, marquées par un certain désengagement de la part de ceux qui, traditionnellement, étaient porteurs d’un positionnement et d’une parole critiques. La figure de l’écrivain et de l’artiste engagés, correspond-elle à une époque passée ? Sans doute existe-t-il aujourd’hui aussi des éveilleurs de conscience, des esprits critiques, mais de quelle écoute bénéficient-ils ? Quelle est leur visibilité ?

   Si l’on se réfère à un certain nombre de publications parues ces dix dernières années, il semble bien qu’un regain d’intérêt se manifeste pour ce qui touche à la relation de l’art et du politique. Alors que de récents ouvrages vantent « un nouvel art de militer »[1] et font état de nouvelles formes d’engagement social et politique, d’autres évoquent des pratiques artistiques actuelles, réalisées dans l’espace public, mêlant l’art et la vie. Faut-il en déduire que le temps où l’on regrettait le désengagement des artistes, ou plutôt leur acceptation du consensus culturel serait révolu ? Sans doute pas. En 2007 Marc Jimenez écrivait : « En un peu plus d’une décennie, le consensus culturel, c’est-à-dire la collusion attestée de l’art avec le système économique, politique et technicien qui “gère” la production industrielle des biens culturels, semble avoir mis définitivement un terme aux prétentions “subversives”, “engagées”, “impliquées” ou simplement “polémiques” de ceux que l’on persiste à nommer “artistes” »[2]. Si donc le consensus culturel est parvenu à ruiner les velléités de subversion ou de transgression des artistes, il n’en demeure pas moins que certains d’entre eux tentent de résister à cette situation. La question demeure : qu’elle est la marge de manœuvre des artistes au regard de la société dans laquelle ils vivent ? Et, par voie de conséquence : que peut l’art ? A-t-il le pouvoir d’influer sur les choses ? Peut-il contribuer à « transformer le monde » (Marx) et « changer la vie » (Rimbaud), ainsi que le proclamaient les avant-gardes artistiques du siècle dernier ?

   Dans les années 1960, Herbert Marcuse qui se trouvait alors aux États-Unis a montré la capacité du système capitaliste à récupérer toutes les formes de contre-culture. Le capitalisme dans sa forme la plus récente que l’on nomme néo-libérale a renforcé cette capacité, en encourageant même certaines transgressions artistiques, ainsi qu’on a pu le voir ces dernières décennies. Le système digère, assimile toutes les formes de contestations pour mieux assoir sa domination et sa puissance.

   Faut-il alors considérer que toute résistance est irrémédiablement vouée à l’échec ? Si l’assimilation est inévitable, on observe en revanche que la récupération du potentiel critique des œuvres ne s’exerce pas immédiatement. L’œuvre agit durant un certain temps, même si ce laps de temps est parfois court. L’art demeure donc un foyer de résistance dans lequel il est encore possible d’envisager des trouées dans lesquelles l’artiste peut questionner, déranger, troubler.

   Force est de constater que l’idée du Grand Soir ne fait plus recette. Si les avant-gardes artistiques ont rêvé d’associer révolution esthétique et révolution sociale, cette aspiration aujourd’hui n’a plus grand sens. Ce que l’on observe dans les pratiques les plus engagées de ces dernières années relève moins d’une tentative de participer à un changement radical de la société, que de créer des interstices dans le système, des failles dans lesquelles s’immiscer pour proposer d’autres possibles. Il s’agit de produire des fissures dans lesquelles s’infiltrer, pour faire naître des questionnements, des remises en cause, des critiques sur des modes variés, en ayant recours par exemple à l’ironie, à la dérision, à l’humour, à la satire, à l’excès. L’objectif étant de créer de la surprise, du trouble, du choc, afin d’éveiller les consciences.

 

   Ce numéro propose une vingtaine de réflexions essentiellement liées à la période contemporaine, montrant ainsi que les artistes – du moins certains d’entre eux –, n’ont pas perdu le sens de l’engagement et s’impliquent, se risquent même, dans leur contexte social et politique. Ces réflexions touchent différents domaines comme l’esthétique, la philosophie, les arts plastiques, le cinéma, la critique d’art, la littérature sans limites de zones géographiques. On pourra lire en effet des études concernant des cinéastes et des artistes du Brésil, de Corée du Sud, des États-Unis, de France, de Hollande, du Liban, du Portugal, de différentes îles de la Caraïbe comme Cuba, la Guadeloupe, Haïti, la Jamaïque, la Martinique.

   Cette revue, qui fêtera lors du prochain numéro ses vingt ans d’existence, demeure un espace de rencontre entre les domaines artistiques, les cultures, les sensibilités esthétiques, les expériences. Elle permet ainsi de « faire pont » (pour reprendre la formule d’André Breton), de créer du lien et d’envisager le monde de manière ouverte.

 

 

Dominique Berthet

 

 


 

[1] Sébastien Porte, Cyril Cavalié, Un nouvel art de militer, Paris, Alternatives, 2009.  

 

[2] Marc Jimenez, « Avant-propos », Arts et pouvoir, Paris, Klincksieck, 2007, p. 7.

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